Jacob-Desmalter (1770–1841) : l'ébéniste qui éveilla le style Empire
Son père Georges Jacob fut à l’origine du style Louis XVI. En digne héritier de son prestigieux paternel, François-Honoré, fils de Georges, explora d’autres esthétiques et poussa ses recherches vers un néoclassicisme que l’amateur éclairé d’aujourd’hui reconnaît comme le fil d’Ariane de ce jeune XIXe siècle. Tout porte alors le souvenir ému d’une Antiquité fantasmée. Des vêtements, au mobilier, des arts décoratifs aux Beaux-Arts. En témoignent les chefs-d’œuvre du peintre Jacques-Louis David (1748 – 1825) avec qui l’ébéniste travailla souvent.
Le succès du père favorisa sans doute celui du fils. Néanmoins, sans talent point de renommée et il en fallut bien pour que notre ébéniste dirige sous l’Empire l’une des plus importantes fabriques de meubles de Paris, fabrique qui compta jusqu’à plus de 300 employés.
Notre console estampillée Jacob-Desmalter synthétise à elle seule tout le goût Empire dans ce qu’il produit de plus élégant et de plus luxueux.
Prestance et triomphe de la symétrie, préciosité du bois exotique, marbre puissant mais sobre tandis que les bronzes d’une remarquable délicatesse ne se complaisent pas dans l’ostentatoire. Tout évoque la retenue qui sied à la noblesse. Le mobilier veut son triomphe modeste dans une opulence qui dit pourtant le contraire.
Par ailleurs, la console est sans aucun doute le meuble Empire par excellence. Il n’est pas une pièce qui en soit dépourvue. La commode a régné sur les XVIIe et XVIIIe siècles ; au tournant du XIXe siècle, la console prend sa revanche et se taille la part du lion. Sobre et simple, elle peut aussi bien se faire discrète qu’occuper une place de choix. Mais toujours, elle correspond à l’idée que l’on se fait d’un mobilier antique souvent fantasmé (l’impétueux néoclassicisme) : simple, utile, droit et propre à se parer des atours du luxe.
Le style Empire
Sans doute les découvertes d’Herculanum et de Pompéi au XVIIIe siècle avaient amorcé ce goût nouveau pour l’Antiquité. Mais la campagne d’Égypte (1798 – 1801) marque un tournant et couve l’avènement d’un style qui ne cessera d’inspirer les plus grands créateurs. Encore aujourd’hui, on aurait tort de sous-estimer l’influence immense du style Empire ; l’Art Déco en est un héritier direct.
Alors que partout à Paris et dans les villes de province, l’Égyptomanie bat son plein, les célèbres ornemanistes Percier et Fontaine éditent un Recueil des décorations intérieures en 1801 dans lequel frémissent les soubresauts prometteurs du néoclassicisme. Le succès est tel qu’une réédition est nécessaire en 1812.
Dans cet ouvrage sont compilées de nombreuses gravures de motifs qui diffusent ce goût nouveau emprunt de motifs antiques dans toute la France. Les fastes de l’Empire sont dès lors le modèle à suivre, un modèle naturellement porté par les élites. Car si l’Ancien Régime n’est plus, le style Empire n’est rien d’autre que la suite logique du style Louis XVI, style que l’on mâtine de l’idéal impérial antique auquel aspire Napoléon Bonaparte.
Alors les références à l’Empire romain sont partout : bronze à l’imitation de camés antiques, couronnes de lauriers, sphinx et sphinges immortels, lions puissants, aigles impériales (au féminin car nous parlons de son incarnation héraldique), cygnes gracieux et palmettes méditerranéennes sont l’ornement du mobilier de prestige aussi bien que de celui du quotidien. La palette chromatique s’adapte également avec une goût pour le pourpre et l’or. Or qu’est-il de plus proche du pourpre que le flamboyant acajou ?
Jacob-Desmalter et tous les ébénistes de l’Empire feront ainsi de l’acajou le bois de prédilection de ce style nouveau. D’autant qu’il se marie admirablement à l’or des bronzes et aux marbres sobres.
Pour les formes Empire, Jacques-Louis David dessine des lignes s’inspirant du mobilier découvert à Herculanum et Pompéi et de celui que l’on admire sur les fresques mises à jour.
L’effet produit est saisissant. Les formes d’apparence simples sont parées des plus belles essences de bois et des bronzes les plus finement ciselés. Le mobilier de luxe – comme celui fabriqué par Jacob-Desmalter – dégage l’autorité d’une prestance antique aussi bien que le faste qui doit envelopper la figure d’un empereur, fusse-t-il étranger, français ou d’une lointaine antiquité.
Sur le plan formel et technique, il est remarquable que l’entretoise serve aussi – dans le cas de notre console, mais pas seulement – de piètement.
Notons ici que les griffes de lion que l’on s’attend d’ordinaire à voir chausser les pieds du meuble sont ici posées sur l’entretoise. C’est une caractéristique notable du style Empire que l’on retrouve régulièrement sur les meubles prestigieux et en particulier sur ceux de Jacob-Desmalter. L’entretoise ne sert plus uniquement la stabilité du meuble, elle devient le piédestal du meuble, son estrade qui l’impose dans la pièce et le met en valeur.
Jacob-Desmalter et Thomire : ébénisterie et orfèvrerie au service de l'Empereur
Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814), future impératrice, s’allia dès l’achat de la Malmaison les services des ornemanistes Percier et Fontaine mais également ceux des meilleurs artisans. Jacob-Desmalter fut naturellement mis à contribution par la célèbre créole, ancienne Merveilleuse du Directoire.
Pierre-Philippe Thomire devint quant à lui sculpteur et bronzier fournisseur de leur Majestés impériales et royales à partir de 1809 et ne servit donc pas Joséphine, divorcée de Bonaparte en 1804.
Thomire réalisa notamment le berceau de vermeil de roi de Rome et développa si bien son activité qu’au plus fort de sa carrière pas moins de 700 ouvriers travaillaient pour lui.
Avec Jacob-Desmalter, il porta l’ornement des meubles à son plus haut degré d’art et de raffinement. Comme sur notre console, les bronzes dessinés, fabriqués et ciselés par Thomire sont d’une délicatesse inédite, parfois très proche du travail d’une dentellière. Le modelé de chaque pièce est si bien étudié et apprêté qu’il permet d’accueillir la feuille d’or sans rien perdre de la finesse des détails.
Une fois installés sur les meubles d’acajou de Jacob-Desmalter, les bronzes de Thomire offrent au mobilier une somptuosité discrète et pourtant fastueuse, révélant le soyeux et la chaleur de l’acajou flammé tout en soulignant avec grâce la sobriété des lignes. Le style Empire en un seul meuble, intemporel et emblématique.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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