Le paysage comme sujet véritable est un phénomène assez récent en peinture. Pendant plusieurs siècles, les êtres vivants peuplant les paysages sont jugés davantage dignes d’intérêt que la nature elle-même.
Dans les enluminures et les livres d’heures médiévaux, le paysage est seulement esquissé. Il est un aplat de vert, de brun ou de jaune figurant le sol et les champs au fil des saisons, il est encore une étendue bleue pour figurer le ciel. Parfois, le paysage est d’or et marque la rencontre entre le monde divin et le monde humain, figeant l’action du miracle, de l’épiphanie ou de l’apparition dans le temps impérissable de la nature divine. Mais dans le monde laïc comme dans le monde divin, ces paysages ne sont pas représentés pour ce qu’ils sont et par ce qui les constituent ; ils ne sont que décors. Petit à petit, ces considérations évoluent et offrent au fil des époques un panorama de paysages en histoire de l’art.
Au XVe siècle, une fenêtre sur le monde
Par la fenêtre ou au-delà d’un parapet, occupant l’arrière-plan d’un portrait, est représenté un paysage construit, soigné. Il apparaît dans les tableaux des Flandres durant la première moitié du XVe siècle. Il synthétise une réalité vécue ou métaphorise un message religieux, se fait le reflet, l’effet ou l’écho de la scène peinte au premier plan.
Robert Campin (1378 – 1444) dans sa Nativité, peinte vers 1430, ouvre le dernier plan de la scène sur un paysage préfigurant les « paysages-mondes » du siècle suivant. Plusieurs espaces déclinent les différentes réalités d’un pays, de ses campagnes à son littoral, avec ses villages et ses châteaux. C’est l’aperçu idéalisé d’un monde ordonné.
Parmi ces peintres flamands, Jan van Eyck (1390 – 1441) se distingue notoirement. Sa minutie à représenter la nature sert la glorification de Dieu. Pour La Vierge du chancelier Rolin, panneau peint vers 1435, Van Eyck dépeint une cité idéale installée sur les rives d’un fleuve. Des terres cultivées sur les collines alentours, une ville prospère hérissée de clochers, au loin des montagnes et, au centre, un large fleuve guide le regard et oriente la perspective.
C’est également à cette époque qu’apparaît, dans différentes régions d’Europe de l’ouest, le mot de paysage comme terme artistique désignant une certaine représentation picturale. Landskap en langue flamande, il est landschaft en allemand ou landscape en anglais, il est paesaggio en italien et paysage en français.
Au XVIe siècle, le paysage-monde
À partir du XVIe siècle, le paysage s’échappe de son arrière-plan, envahit le regard dans des proportions autrefois réservées au sujet principal. Le paysage n’est pas encore le premier sujet, mais sa représentation le fait passer du rôle figurant à celui de personnage secondaire. Le peintre Joachim Patinir (vers 1483 – 1524) fait beaucoup dans cette évolution, sans que le réalisme ou la véracité du paysage représenté soit encore une préoccupation. Mais, enfin, le paysage devient un véritable sujet. Les paysages spectaculaires de ce peintre déclinent en trois palettes les trois plans d’un tableau qui embrasse désormais d’immenses étendues.
Un premier plan dans les teintes de brun assoie la scène – régulièrement religieuse -, puis le paysage s’éclaircie dans un camaïeu de verts pour finalement ouvrir les perspectives par des bleus lumineux. Curiosité : quel que soit l’éloignement des détails dans les perspectives de ces paysages, leur précision est toujours parfaite, jamais floue. Si l’on ne peut pas encore appeler ces paysages des vues aériennes, elles ont pourtant de quoi les évoquer aux spectateurs contemporains.
Au XVIIe siècle, l’avènement du paysage
L’âge d’or hollandais offre enfin au paysage la reconnaissance qu’il mérite. Aidé par un iconoclasme surtout hostile aux représentations religieuses, la nature-morte, les vanités et le paysage se font supports de méditation spirituelle. La bourgeoisie s’enrichissant, elle apprécie aussi l’humilité d’un paysage qui laisse pourtant admirer le talent du peintre. Alors, le paysage peut enfin se suffire à lui-même. Il est parfois accompagné de scènes mythologiques ou de scènes de genre, mais ses qualités propres font tout l’intérêt de l’œuvre. Les paysages de Jan van Goyen (1596 – 1656), de Meindert Hobbema (1638 – 1709), de Rembrandt ou de Vermeer peignent avec virtuosité des atmosphères dictées par la nature, où la présence de l’Homme est au pire anecdotique, au mieux oubliée.
Ce sont surtout les paysages de Jacob van Ruisdael (1628 – 1682) qui auront la plus grande notoriété. Au XIXe siècle, son Buisson fait figure de modèle pour les paysagistes et pour la première génération des peintres romantiques qui admirent le travail de la lumière et les mouvements violents animant l’arbre et le ciel. Exposé au Louvre, Le Buisson sera l’un des tableaux les plus recopiés du musée.

Du paysage héroïque au paysage galant
Parallèlement, l’art classique français hérite des paysages italiens et étire le cadre des scènes, agrandit le paysage quand il sert de prétexte à l’allégorie mythique, religieuse ou à la peinture d’histoire. Alors ce n’est pas la représentation fidèle de la nature qui fait le tableau réussi, mais bien sa recréation, sa recomposition capable d’évoquer le sens poétique du sujet. Les personnages sont représentés dans des paysages qui les dépassent, qui les protègent ou les exposent. De Titien (1488 – 1576) ou Annibal Carrache (1560 – 1609) à Nicolas Poussin (1594 – 1665), le paysage classique, s’il n’est pas l’unique sujet, devient un personnage. Sa représentation délicate respecte les principes de la perspective albertienne et en tire les conclusions, représentant les premiers plans nets et les arrières plans flous.
Au XVIIIe siècle, le paysage est toujours relégué en bas de la hiérarchie des genres, codifiée en 1667 par André Félibien (1619 – 1695). Il vient évidemment après la peinture d’histoire et les portraits, après même la peinture animalière, mais tout de même avant la nature-morte.
Dans les pastorales et les scènes galantes, il est classique, mais joyeux, parfois exubérant sans jamais être trop envahissant. Encore ici, il sert de cadre et de décor.
Le néoclassicisme de la fin du siècle remet au goût des paysages héroïques s’appuyant sur un travail d’esquisses sur le motif, en plein air.
Pierre-Henri de Valenciennes (1750 – 1819), peintre néoclassique, est l’un des grands représentants de la peinture de paysage de cette époque. Développant la théorie de la perspective chromatique et attaché au travail préparatoire en plein air, il propose une nouvelle théorie du paysage comme pendant de la peinture d’histoire. En tant que lieu de l’action historique, le paysage doit restituer un contexte et assurer la crédibilité de la scène. À ce titre, il ne peut être reléguer dans le champs des sujets mineurs.
Afin de donner plus de respectabilité et de profondeur à ce genre dans lequel il brille, Pierre-Henri de Valenciennes initie à partir de 1816 un concours de paysage historique. Ce dernier connait une belle postérité puisque sa dernière édition se tiend 47 ans plus tard, en 1863.
Le paysage, sujet romantique et moderne
Entre l’époque où Pierre-Henri de Valenciennes dominait la scène artistique du paysage français et l’année à laquelle prit fin le concours qu’il avait créé, la Révolution industrielle, le développement de la peinture en tube ainsi que celui de la photographie vont donner à la peinture de paysage européenne ses lettres de noblesse.
Avec les romantiques, le paysage confronte l’Homme à la puissance de la nature. Autrefois personnage central de paysages-décors, l’humain se fait ici tout petit, écrasé par un paysage grandiose. C’est la revanche de plusieurs siècles de nature trop souvent paisible, voire effacée. Les paysages romantiques font la part belle à des ciels majestueux, tourmentés, à des paysages rocailleux, inhospitaliers ou au contraire d’une douceur irréelle. William Turner (1775 – 1851) ou Caspar David Friedrich (1774 -1840) font régulièrement des paysages le seul sujet de leurs tableaux et chacun d’entre eux est le prétexte d’une peinture symbolique, presque religieuse.
Entre romantisme et réalisme, Théodore Rousseau peint les paysages sensibles d’une nature bien réelle, loin de toute idéalisation. Avec Corot, il rend pictural son sentiment et son amour de la nature ; la scène artistique voit alors apparaître les premiers véritables tableaux de paysages français. L’influence anglaise de John Constable n’est pas étrangère à la naissance de ces nouvelles œuvres. La touche est moderne, floue, atmosphérique et traduit ce mouvement perpétuel et insaisissable qui caractérise la nature. L’aspect inachevé de sa manière, seule capable de rendre la réalité de la nature saisie sur le vif, lui sera beaucoup reproché. Mais l’influence de Théodore Rousseau sera grande, et avec lui naît l’école de Barbizon.
Le paysage par le groupe de Barbizon
Avec les peintres de cette colonie (plutôt qu’école), parmi lesquels Rousseau et Corot, bien sûr, mais aussi Paul Huet, Charles-François Daubigny, ou Jean-François Millet, le paysage est désormais débarrassé de la peinture d’histoire, des personnages mythiques ou réels. Il est peint pour lui-même, avec la plus grande fidélité possible, dans les détails comme dans le sentiment qu’éveillent ces panoramas de pure nature, patiemment observés au fil des saisons. Le spectateur y observe bien quelques animaux ou de rares promeneurs, surtout lorsque la toile a été esquissée dans la forêt de Fontainebleau, très plébiscitée par ces artistes qui s’échappent enfin de Paris grâce au chemin de fer. La clientèle citadine se délecte de ces œuvres qui la font renouer avec une nature de plus en plus lointaine, sans cesse repoussée par la Révolution industrielle.
L’impressionnisme hérite directement de ces peintres qui, tous, bénéficient de l’invention de la peinture en tubes en 1849. Les déplacements à l’extérieur favorisés par le chemin de fer, la facilité de mise en œuvre d’un tableau directement en plein air, grâce à ces couleurs transportables, tout cela nourrit un intérêt toujours plus grandissant pour l’impression fugitive, les mouvements de la lumière et les modulations atmosphériques incessantes. Alors que le développement de la photographie répond presque instantanément à la recherche séculaire de réalisme pictural, les peintres saisissent dans ces grands changements l’opportunité de redéfinir les canons et le rôle de la peinture.
Peu à peu, le paysage saisit sur le vif est synthétisé, avec Cézanne par exemple, puis disséqué (avec les pointillistes notamment), avant d’être uniquement traité par le biais de ses volumes ou de ses couleurs. Le paysage moderne flirte d’abord puis plonge dans l’abstraction ; Impression V (Parc) peinte en 1911 par Wassily Kandinsky trace ainsi de nouveaux horizons.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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