Le style Paquebot Art Déco, raffinement français
Dans les premières années du XXe siècle, un nouveau style se presse et bouscule les pesants décors Napoléon III. Assez des dorures, des velours, des amoncellements d’ornements, le tout jeune siècle annonce du (presque) jamais vu : de l’épure et de la retenue. Le paquebot La Provence, mis à l’eau en 1906 annonce littéralement la couleur : aux palettes épaisses, répondent des nuanciers clairs déclinés sur un mobilier d’inspiration néoclassique. Si le style Louis XVI n’est pas loin, c’est celui de l’Empire qui annonce son grand retour, assagi et modernisé. Pas seulement rafraîchissante dans son style, La Provence est aussi le premier paquebot équipé de la télégraphie sans fil. Les grandes lignes directrices que suivront les futurs transatlantiques sont désormais lancées : innovation, élégance et modernité.
Une vingtaine d’années plus tard, en 1927, le paquebot Île-de-France est mis à l’eau et incarne la quintessence de l’art de vivre à la française. Confortable, moderne, luxueux, il fait voguer l’Art Déco, officiellement né en 1925, jusqu’en Amérique. À la tête de cette réalisation remarquable, l’architecte Louis Süe (1875 – 1968) et le peintre André Mare (1887 – 1968) ont composé des intérieurs mariant avec raffinement tout ce qui fait alors le succès de l’Art Déco. L’inspiration Empire, les lignes sobres et les formes géométriques des écoles modernes, l’exaltation des surfaces par des matériaux luxueux et une nouvelle manière de vivre le mobilier sont autant de détails qui font le décor de cet immense paquebot. Pour une clientèle riche et active, désireuse d’aller à l’essentiel sans renoncer au confort, les ensembliers ont créé un ascétisme qui n’a pourtant rien d’austère.
En 1932, le Normandie est mis à flots et sa décoration est notamment orchestrée par Jules Leleu, Jacques-Émile Ruhlmann, Paul Follot, la maison Lalique ou encore Jean Dunand. Les paquebots sont désormais des objets d’art total et tant que ces croisières ne sont pas détrônées par les traversées aériennes transatlantiques, ils sont les fleurons du progrès technique et portent en ambassade les innovations des industries nationales. Car tout concorde à ce que ces palaces flottant rivalisent de modernité. Les différentes normes, les impératifs techniques (poids, propriété ignifuge des matériaux, etc) imposent aux décorateurs de sollicité les entreprises françaises et de faire preuve de créativité. C’est ainsi que Lanvin choisit d’employer de l’aluminium et du Formica pour concevoir les commodes des cabines première et deuxième classes du paquebot France.
Le style Paquebot ne restreint pourtant pas son champs d’action à l’aire maritime. Son succès grandissant infiltre les intérieurs des nouveaux appartements, eux-mêmes inscrits dans des immeubles à forme de bateau. L’hôtel Belvédère du Rayon Vert à Cerbères construit en 1928 ou l’immeuble La Cascade bâti en Belgique en 1939 en témoignent.C’est aux mêmes exigences que le style Streamline répond, tout en adoptant une autre forme d’expression.
Streamline : l’ode américaine à la vitesse moderne
Si le terme liner désigne bien les paquebots, le style Streamline renvoie quant à lui à leurs profils carénés. Les Américains choisissent en effet d’insuffler la puissance et la rapidité des navires géants dans des objets qu’on utilise essentiellement chez soi. Les formes fuselées des bateaux, l’aérodynamisme des coques, les garde-corps tubulaires ou les machineries puissantes sont autant de lignes qui inspirent les designers. Objets, voitures et architectures semblent modelées par la résistance des structures face au souffle de la vitesse.
Ainsi, à l’inverse du style Paquebot européen, le Streamline se trouve moins en mer que sur terre et signe l’avènement de l’esthétique industrielle américaine. Puisant dans les écoles modernes, de jeunes designers dessinent des objets futuristes qu’ils couplent aux dernières technologies : voitures, trains, bus, réveils à affichage numérique, bouteilles de soda, grille-pain et objets électro-ménagers, tout y passe. Lorsque les paquebots français transportent un art de vivre élégant et raffiné, le streamline américain produit des objets dont les lignes traduisent l’inarrêtable élan pris par les industries nationales. Dans les années 1960, ce style nerveux et unique traverse l’Atlantique et envahit le quotidien des Européens. Sans doute trop luxueux et élitiste, le style Paquebot français, qui a évolué de l’Art Déco au modernisme, rivalise difficilement avec le Streamline produit à grande échelle. Mais le Concorde sera bientôt l’occasion d’un éclatant renouveau du goût français…
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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