De l’architecture aux arts décoratifs, ils attisent la convoitise du scientifique et de l’amateur d’art, l’esthète et le curieux. Ce coffret mesure environ 20 cm de hauteur, 22,5 cm de largeur et 15 cm de profondeur.
Objets de décor
Élément emblématique de l’esthétique rococo, la coquille désigne largement l’art d’agencer les coquillages. Cette esthétique s’ancre dans l’architecture intérieure et couvre des murs entiers, comme c’est le cas dans la Chaumière aux coquillages, merveilleuse fabrique édifiée entre 1770 et 1780 pour la princesse de Lamballe dans le domaine de Rambouillet. On retrouve aussi cette décoration dans les grottes artificielles, ainsi que sur les objets d’art décoratif.
Loin d’être uniquement appréciées pour leurs nuances nacrées et leurs formes ondoyantes, les coquilles se montrent comme un parfait objet d’admiration et de discussion. Ses agencements artistiques et savants sollicitent l’attention et l’intérêt de tout un éventail de personnalités, qui du scientifique capable d’identifier les espèces, qui du peintre admirant la palette et les lignes. Ces curieuses créations du XVIIIe siècle sont ainsi de charmants témoins d’une époque en pleine révolution scientifique et culturelle.
Ainsi, de la haute aristocratie à la bourgeoisie, la collections de coquilles et la conchyliologie sont un passe-temps à la mode. Cet intérêt indique par sa modernité même un rang, un état d’esprit qui estompent habilement les strictes catégories sociales de l’Ancien Régime. Face à l’objet scientifique, au cas d’étude, seuls comptent la capacité d’observation et d’analyse, la pertinence des hypothèses et l’étendue des connaissances. Face à de tels critères, la particule ne garantit plus d’avoir le dernier et (bon) mot. Le siècle des Lumières s’aventure à un nivellement de la société par le mérite et la culture, dont le XIXe siècle sera le riche héritier.
Cette curiosité pour l’histoire naturelle n’était pourtant pas nouvelle. Déjà, la Renaissance l’avait mis en majesté dans de superbes cabinets de curiosité où le surnaturel côtoyait sans difficulté un naturel qui n’était pas moins mystérieux. Les dents de narval devenues par un tour de passe-passe des cornes de licorne n’avaient alors rien à envier à de beaux nautiles tout parés de bronze doré.
De loin en loin, l’observation et l’étude attentives mirent en lumière la véritable nature du monde. Les étrangetés perdaient de leur mystère, mais conservaient un prestige intact, auréolé de la rareté des produits exotiques.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la collection de coquilles de Joseph Bonnier de la Mosson, riche financier et banquier de la cour (1702-1744), est sans doute l’une des plus importantes de Paris. Notre homme les expose partout chez lui et de toutes les manières possibles. De l’architecture aux meubles en passant par les objets décoratifs.
L'art d'accumuler
Toutefois, les coquilles ne sont pas disposées sur les murs ou les objets sans une certaine réflexion. Elles sont agencées avec soin dans un goût ici typiquement français, style guidé par de nombreux écrits orientant le collectionneur à travers les différentes étapes nécessaires à l’exposition de ses coquilles.
Ces doctes recommandations incitent pourtant toutes à confier ce travail préparatoire minutieux à des spécialistes du métier, idéalement des tabletiers ou des artisans – plus rares – compétents à tourner le corail. Au collectionneur les considérations intellectuelles, à l’artisan leurs mises en pratique manuelles.
D’ordinaire, les coquillages sont d’abord délicatement nettoyés. Leur surface est polie et régulièrement recouverte de cire naturelle incolore pour augmenter la brillance et aviver les couleurs et les reflets de la nacre.
Car si l’éclat de l’art de la coquille est d’importance, il doit aussi permettre au naturaliste, savant ou amateur, d’identifier les espèces, telles qu’elles se présenteraient sous le lustre de l’eau. Il faut donc que l’artisan soit habile à mettre en valeur les propriétés du coquillage et suffisamment savant (ou bien guidé) pour les agencer sur un objet, selon leur intérêt, leur rareté ou leur beauté naturelle.
Suivant cette habitude, l’artisan a donc couronné le centre de notre coffret d’un cypraecassis rufa (un casque rouge), disposé de telle sorte qu’il soit immédiatement identifiable. Ce coquillage, très abondant dans la zone Indo-Pacifique et dans l’océan Indien est alors particulièrement admirable de pas cette lointaine provenance.
Comme pour nombre d’objets d’art ornés de coquilles au XVIIIe siècle, les espèces composent un décor presque systématiquement exotique. Ainsi, ce coffret est encore paré de cittarium pica (qui se pêchent en quantité le long des côtes d’Amérique centrale et d’Amérique du sud), des coquilles de la variété conus (côte sud-africaine et Méditerranée), un mitra-mitra blanc à tâches orangées (pêché dans l’Océan Indien ou dans le Pacifique), des cypraea (mers asiatiques) des cauris jaunes et violets (région Indo-Pacifique), ainsi que toutes une variété de petites coquilles fines et colorées.
Les Hollandais se font à l’époque les spécialistes du commerce de ce type de produits. Leur puissance maritime leur offre une vaste zone de pêche et de récolte dans les eaux chaudes du globe. Amsterdam s’installant comme un grand centre importateur en Europe, ce commerce aujourd’hui méconnu s’avéra pourtant très lucratif.
Notre coffret est ainsi très représentatif de cet art savant de la coquille. Par ailleurs, il suit un autre caprice du XVIIIe siècle qui apprécie l’agencement des coquillages à la manière de celui des jardins à la française. La symétrie et les motifs sont en effet ceux des parterres arrangés selon des formes de soleils, de cercles, d’étoiles ou de rayons).
De plus larges créations ordonnent de la même manière les pans de murs ou de meubles en tableaux méthodiques et conchyliologiques.
Dezallier d’Argenville (1680 – 1765), naturaliste, collectionneur et historien d’art français, résume ainsi cet art à destination d’un public large et réunissant tous les intérêts qui marquant et constituant une part importante de la richesse culturelle du XVIIIe siècle :
Les Coquillages sont l’objet de la recherche de deux différentes sortes de personnes ; je veux dire des Physiciens & des Curieux. Le but des uns, en les possédant, est d’en étudier la cause, le principe & les suites (…). Les autres ne les recherchent que (…) par délassement, & pour se procurer un coup d’œil agréable en observant la variété des formes & des couleurs dont elles sont ornées. Je ne prétends pas cependant dire par là que l’unique motif des Curieux, en acquérant des curiosités, soit l’amusement, & que le Physicien n’ait en vue que l’étude, & ne compte pour rien la récréation des yeux ; mais seulement que l’agréable qui s’y rencontre n’est qu’accessoire pour le Physicien, comme l’étude & la recherche le sont pour les Curieux.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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