Avant de traverser les mers et les océans, l’humanité traversa d’abord de bien mystérieux fleuves. En témoignent ces maquettes égyptiennes, notamment, qui portent contre paiement les défunts dans un autre monde dont on ignore tout. L’Antiquité grecque connait elle aussi ces fleuves traversés par de silencieuses embarcations. C’est sans doute le tout premier et grand voyage vers l’inconnu qu’envisage l’humanité. Car si elle se déplace facilement à pied, il faut attendre les premières embarcations pour mettre un plus vaste monde à sa portée.

Les grandes traversées

De la Scandinavie à la Polynésie, les peuples navigateurs sont toujours célébrés aujourd’hui pour leurs talents marins, et l’Histoire de relativiser la primauté de la découverte espagnole du nouveau monde en 1492. Toutefois, cette ère de navigation qui s’ouvre à la Renaissance insuffle avec elle une passion marine qui navigue jusque sur les plus belles tables aristocratiques. Les nefs d’argent sont à ce titre les premières maquettes d’envergure. Utilisées aux XVe et XVIe siècle pour orner la table, elles contiennent parfois le couvert du souverain ou présentent de rares épices qui sont justement parvenues en Europe au terme d’un long périple marin.

Nef automate dite « de Charles Quint ». Création de l’orfèvre Hans Schlottheim. Allemagne, dernier quart du XVIe siècle
Nef automate dite « de Charles Quint ». Création de l’orfèvre Hans Schlottheim. Allemagne, dernier quart du XVIe siècle

Le détail de ces très rares objets est extrêmement fouillé : des voilures au pont, tout est scrupuleusement représenté. L’équipage est presque toujours représenté affairé. Ces nefs sont des bijoux d’orfèvrerie d’un luxe inouï et à ce titre demeure une prérogative des musées. Aux collectionneurs sont destinées des copies soignées en bronze ou métal argenté réalisées aux XIXe ou au XXe siècle.

Maquettes d’arsenal, maquettes de chantier

Ces maquettes sont les plus recherchées par les collectionneurs. Longues de un à deux mètres, elles sont l’outil de travail auquel se réfèrent les charpentiers et tous les corps de métier impliqués dans la construction d’un navire. De ce fait, elles sont d’une redoutable précision et de véritables témoignages historiques de ce qu’ont pu être les bateaux d’Ancien Régime notamment.

Certaines sont seulement bordées (couvertes de leurs bords, à savoir de leur coque) d’un seul côté, l’autre côté laissant apparaître les différentes membranes et l’organisation intérieure du navire.

Ces maquettes d’arsenal n’apparaissent qu’au milieu du XVIIe siècle. Elles répondent à une intense course maritime et à la rivalité des deux grandes puissances de l’époque, la Marine français et la Marine anglaise. Les deux se disputent les mers du globe et rivalisent d’innovations technologiques capables de prendre le pas sur leurs adversaires en terme de puissance de feu, de rapidité et de capacité de stockage. Les investissements pour remporter la suprématie des mers sont tels qu’un corps d’artisans se spécialisent bientôt dans la réalisation de maquettes qui doivent permettre d’anticiper les forces et les faiblesses du futurs bateaux. Ainsi, la construction est amorcée seulement lorsque la réponse de la maquette à la reproduction de conditions réelles et concluantes. La leçon du Vasa, navire suédois inauguré en grande pompe en 1628, avait été retenue. Le superbe trois-mâts bâti pour le roi Gustave II Adolphe de Suède n’avait pas vogué sur un mille marin qu’il sombra par trente mètres de fond le jour même.

Les Anglais sont les premiers à constituer un Admiralty Models en 1660 sous le règne de Charles II (1630 – 1685), et sont rapidement imités par Colbert (1619 – 1683) qui confie la confection des maquettes aux architectes et charpentiers de marine et à leurs artisans.

Maquette d’un bateau hollandais, XIXe siècle
Maquette d’un bateau hollandais, XIXe siècle

En plus de leur indispensable précision technique, ces maquettes sont déjà parées des ornements du navire terminé et font de superbes pièces décoratives. C’est d’ailleurs la quantité d’ornements et de raffinements peints ou dorés qui indiquera au collectionneur la première vocation de ces maquettes. Lorsque celles toutes peintes et dorées étaient de coûteux jouets offerts aux fils de France, et au XIXe siècle à de jeunes garçons très privilégiés, les maquettes plus arides sont celles destinées aux chantiers et, à partir du XVIIIe siècle, à la formation des officiers de Marine.

Maquettes de matelot

Une autre catégorie de maquettes est appréciée des collectionneurs, celles plus rustiques et plus poétique des maquettes réalisées par les marins eux-mêmes. Lorsqu’à bord le temps s’écoule lentement et que l’ennui rode, certains marins s’occupaient en confectionnant des maquettes avec les moyens du bord. Souvent en bois, elles sont parfois peintes, mais leur longueur toujours inférieures à 80 cm pour pouvoir entrer dans le rangement personnel du matelot une fois que le travail reprenait. Souvent, ces maquettes sont équipées de cordes, de poulies et de toutes sortes de détails familiers, mais sont rarement voilées. Soit que les voiles aient disparu soit qu’elles n’aient jamais été tendues.

Bateau votif dans l'église Saint-Martin de Pauillac représentant le Saint-Clément, navire de guerre de la fin du XVIIIe siècle.
Bateau votif dans l'église Saint-Martin de Pauillac représentant le Saint-Clément, navire de guerre de la fin du XVIIIe siècle.

Si certaines de ces créations étaient rapportées à terre et conservées dans les familles, nombre d’entre elles étaient offertes à des églises de port. Elles devenaient alors ex-voto, offrande reconnaissante du marin qui a prié pour retourner à terre sain et sauf. Ces maquettes sont toujours visibles dans les églises du littoral, suspendues au plafond des édifices comme des vaisseaux volants.

Maquettes de ponton

Ce curieux nom baptise les maquettes réalisées par les prisonniers napoléoniens sur les pontons des navires anglais. Si leurs proportions sont souvent plus modestes que celles des maquettes d’arsenal, leur raffinement n’est assurément pas moindre. Ces maquettes sont régulièrement le fruit d’un travail d’équipe où chaque prisonnier avait son rôle et sa spécialité : l’un découpait, le bois, l’autre les os récupérés en cuisine, l’autre assemblait, etc. Le résultat est souvent un beau bateau à la coque plaquée d’os, au gréement en bois, cordes et fanons de baleine. Une fois à terre, ces maquettes étaient vendues et la somme obtenue répartie entre les prisonniers pour améliorer leur quotidien.

Maquette de ponton, premier quart du XIXe siècle © Gazette Drouot
Maquette de ponton, premier quart du XIXe siècle © Gazette Drouot

Quant aux maquettes d’ivoire, à toute petite échelle, sans pourtant manquer de précision, elles sont l’œuvre des tabletiers, notamment ceux des ateliers de Dieppe.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire