Au XIXe siècle, le goût est à l’historicisme. Les ébénistes et artisans d’art reprennent les codes et les grands styles qui ont marqué les siècles précédents. Depuis la Haute-Époque jusqu’au XVIIIe siècle, l’art reprend les éléments forts de chaque période stylistique et les réemploie. Aussi, les ébénistes font montre de leurs talents et réalise pour répondre à cette demande nouvelle de superbes pièces dans le goût le plus exact de la période ou de l’artiste qu’ils choisissent comme modèle.
La clientèle issue de la grande bourgeoisie ou de la haute société sait apprécier le talent déployé et redemande de ce type d’exercices. C’est donc tout naturellement que Charles Hunsinger (1823 – 1893) rencontre le succès en proposant ses pièces dans le goût de celles de Pierre Gole (1620 – 1684), ébéniste majeur du XVIIe siècle.
Hunsinger naît en Alsace et se trouve actif à Paris dès 1859 où il est répertorié comme « fabricant de meuble de luxe et de fantaisie » dans l’almanach du commerce. Sa maîtrise de la marqueterie et sa remarquable connaissance du style Grand Siècle lui permettent de décrocher la médaille d’or pour l’Excellence de l’artisanat à l’Exposition de Bruxelles de 1881. Auparavant, il avait présenté son travail aux Expositions Universelles de Paris en 1865, 1867 et 1878. Son talent et son succès firent sans aucun doute des émules parmi ses collègues.
Pierre Gole, le maître virtuose
Comprendre la qualité de cet admirable travail d’ébénisterie du XIXe, ne va pas sans appréhender l’ébéniste duquel s’inspira Hunsinger. Pierre Gole est l’un des premiers ébénistes à servir le jeune Louis XIV. Le bois noirci et l’ébène sont alors à la mode depuis déjà plusieurs décennies.
Parvenu en France au XVe siècle, l’usage de l’ébène est réservé aux petits objets car sa dureté rend difficile le débitage. On lui substitue alors souvent le poirier noirci pour les placages et les marqueterie. Cependant, les techniques de découpe du XVIIe siècle s’améliorent et parviennent enfin à convenablement débiter en fines plaques ce superbe bois exotique. Toutefois, cette essence reste un produit de luxe, réservé à une clientèle d’élite, tandis que les commanditaires moins aisés se rabattent toujours sur le bois noirci.
Parallèlement, Henri IV a initié dès le tout début du XVIIe siècle une émulation des savoir-faire français en promulguant des interdictions d’importations (notamment contre les tapisseries des Flandres) et autorisé la venue de maîtres ébénistes flamands et hollandais. Paris et d’autres villes françaises se trouvent bientôt enrichies d’artisans et d’ouvriers étrangers qualifiés dans des arts que les Français maîtrisent moins bien. La transmission des connaissances à travers la constitution d’ateliers permet ainsi à plusieurs générations de se former et d’atteindre un nouveau niveau de virtuosité.
De la génération formée par ces artisans flamands et hollandais est issu Pierre Gole (né en Hollande vers 1620, mort en France en 1685). Le futur ébéniste fait son apprentissage auprès d’Adriaan Garbrandt, un néerlandais et l’un des ébénistes les plus en vue de son époque. Gole épouse la fille de son maître puis succède à ce dernier en 1650. Un an plus tard, il devient ébéniste du roi Louis XIV. Il est alors l’un des grands maîtres du travail de l’ébène et fournit aussi bien la famille royale que de riches particuliers. Or, lorsqu’il entre au service de la couronne, les meubles marquetés de bois de couleur sur fond noir d’ébène ou de bois noirci sont à la mode et l’élite ne veut rien d’autre.
Langage fleuri
Au mitan du XVIIe siècle, le goût de la Renaissance française infuse encore le début du règne de Louis XIV. L’étude naturaliste des fleurs évoque encore les spécimens marquetées, peints ou sculptées que l’on trouve à Blois ou à Fontainebleau. Le vase fleuri est quant à lui un sujet commun dans les Flandres et en Hollande, régions protestantes où l’art se refuse à la représentation du sacré comme le font les pays d’obédience catholique. La ferveur emprunte alors à l’allégorie et au vocabulaire de la nature et leurs nombreuses expressions sont l’occasion de paraboles savantes. Alors, la symbolique des fleurs et celle des insectes donnent à l’œuvre peinte ou marquetée la dimension d’une vanité.
La maîtrise technique aussi bien que l’ambiance artistique dans laquelle ont évolué les artisans flamands et hollandais favorisent l’introduction de ces thèmes décoratifs septentrionaux en France, où ils sont un peu adaptés pour satisfaire le goût français. Les détails sont toujours raffinés, les palettes d’essence subtiles et les compositions parfaitement équilibrées sans déroger à ce mouvement qui plaît au baroque français.
Hunsinger baroque
Ce sont autant de détails raffinés qui émerveillent toujours, deux siècles plus tard, les contemporains de Charles Hunsinger. Ce dernier, se prenant manifestement au jeu, trouve la pleine expression de son talent en travaillant à la renaissance de l’art de Pierre Gole.
Aujourd’hui, les pièces de mobilier marquetées de Charles Hunsinger sont toujours des morceaux d’ébénisterie dignes d’admiration. Qu’il s’agisse de luxueux petits meubles, de bureaux, de bonheur-du-jour ou de cabinets, le collectionneur y lit l’érudition de cet ébéniste, la finesse technique et ornementale, aussi bien que l’attention au choix iconographique en fonction de la personnalité du commanditaire. Alors que le XIXe siècle bat son plein, il semble grâce à Hunsinger que le Grand Siècle ne se soit jamais éteint !
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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