C’est en 1850 que la première manufacture de bronzes viennois ouvre à l’initiative de Mathias Bermann à Hernals, près de Vienne. L’artisan débute par la création de petites figurines décoratives en bronze, destinées à orner les pipes. Il créé lui-même les moules, procède par fonte au sable, puis soigne la ciselure avant de peindre à la main les petits animaux et personnages obtenus. En 1873, il présente ses créations à l’Exposition Universelle de Vienne, initiant dans cette même ville, une multiplication des ateliers et de ces petites figures de bronze de très grande qualité. On compte à la fin du XIXe siècle pas loin de 120 artisans réunis sous le titre de Wiener Bronzen. Tous se distinguent par la finesse du travail de ciselure sur de petits objets et sculptures décoratives qui ravissent le goût bourgeois. Chaque pièce, unique par son ciselage fait main, est encore individualisée par les couleurs qui lui sont appliquées. Ce souci du détail fait de la production viennoise la plus naturaliste de son temps, ainsi que celle proposant le plus large choix de sujets.
Bronzes de Vienne : le triomphe du goût bourgeois
Si les sculptures en bronze était l’apanage d’une clientèle essentiellement aristocratique au XVIIIe siècle, il en est autrement au siècle suivant. Les progrès rapides et colossaux de l’industrialisation et de la mécanisation permettent des avancées notables dans la production et le travail du métal, notamment en ce qui concerne la fonte au sable. Petit à petit, les petites et moyennes sculptures en bronze deviennent accessibles à une classe bourgeoise qui s’entiche de ces objets décoratifs à la mode. En France, en Angleterre et même aux États-Unis, les bronzes de Vienne remportent un franc succès, si bien qu’il est impératif de multiplier les modèles. À la fin du XIXe siècle, plus de 10 000 ont été répertoriés.
Si leur succès tient à différents paramètres économiques, il est aussi le fruit de la souplesse des bronziers, capables de répondre à tous les goûts. Alors que la seconde moitié du XIXe siècle se souvient avec une certaine nostalgie des formes stylistiques du passé, les propositions artistiques sont si vastes que chacun y trouve nécessairement son bonheur. Du style Troubadour en passant par les styles « néo » (néo-renaissance, néo-gothique, néo-roman, etc), le grand retour du style Louis XV et jusqu’à l’Art Nouveau, les formes, les sujets et les palettes sont si diversifiées que les charmants bronzes de Vienne ne manquent pas d’inspiration et semblent tous uniques.
Parfait reflet des goûts, des modes et des bouleversements de l’époque, ces bronzes répondent au goût fantasmé de l’Orient, aux aspirations nationales, aux revendications sociales, à la littérature et à la peinture réalistes. Ils évoquent le quotidien bourgeois et le labeur ouvrier, la vie rurale et l’effervescence urbaine. C’est toute une société en pleine mutation qui trouve dans ces bronzes l’écho de ce qui l’enthousiasme, de ce qui l’inquiète, de ce qui la fait rêver ou de ce en quoi elle croit.
Aussi, le goût très marqué pour la sculpture animalière est encore l’occasion d’une pléthore de sujets, balayant un large spectre d’espèces, du doux bichon maltais au sanglier furieux, en passant par les chevaux, les animaux exotiques ou une faune plus commune.
Souvent ils sont uniquement décoratifs, parfois, on leur trouve un usage (porte-brosse, bijoux, ou montres par exemple).
Artistes mal connus
Si Franz Bergman (1861 – 1936) ou Carl Kauba (1865 – 1922) sont les plus fameux bronziers de ce domaine, le premier pour ses figures orientales, érotiques ou animalières et le second pour ses personnages de colons américains ou d’Amérindiens, ils sont de notables exceptions.
La plupart des artistes qui créèrent la myriade de petits bronzes qui décorèrent les demeures cossues des Occidentaux aisés sont, encore aujourd’hui, de parfaits inconnus.
La faute à cette nouvelle forme de production qui mêle l’artisanat à une optimisation des productions mécaniques. Des sculpteurs étaient chargés de la création des figures modèles qui étaient ensuite produites par les manufactures. Une fois la sculpture éditée, ils la reprenaient pour la ciseler et la peindre. Ainsi, les bronzes de Vienne sont, au mieux, frappés du poinçon de la manufacture. Mais la plupart d’entre eux sont tout à fait dépourvus de marque.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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