Redécouvert à la Renaissance à la faveur d’un regain d’intérêt pour l’Antiquité, l’art de la mosaïque est intimement lié aux lieux de culte et aux maisons cossues de riches patriciens romains. Mais, c’est au XVIIIe siècle que cette technique minutieuse prend une toute nouvelle envergure.

L’invention de la micro-mosaïque

En 1731, le chimiste et verrier Alessio Mattioli met au point une recette mêlant de la poudre de marbre (ou plus certainement de gypse), de l’huile de lin, des pigments ainsi qu’un mélange vitrifiable. Cette pâte, flexible et étirable, permet de former de fines baguettes qui sont ensuite sectionnées en très petits morceaux. Ces derniers forment ainsi des tesselles nommées en italien smalti filati.
Il s’agit ensuite pour le mosaïste de préparer son support, en métal ou en pierre par exemple, et de composer les grandes lignes de son dessin. Puis, patiemment, il puise dans une large palette de couleurs pour composer le motif dont la virtuosité s’estime à la qualité des modelés et à la finesse des détails. C’est par cette maîtrise du dessin et de la couleur que le mosaïste peut rivaliser avec le peintre. Certains deviennent d’ailleurs de véritables maîtres dans cette discipline, à l’instar de Giacomo Raffaelli (1753 – 1836). D’autant qu’à la fin du XVIIIe siècle, il existe pas moins de 15000 nuances de smalti filati dans certains ateliers, comme celui du Vatican. Certaines couleurs atteignent même une petite célébrité, comme le lattimo (une nuance de blanc), le rubbino (rubis), le lacca (garance) ou encore le giallo (un jaune caractéristique).
Une fois la micro-mosaïque terminée, l’œuvre souvent de petites dimensions est polie, cirée puis sertie dans une monture métallique.
Si les ateliers romains sont les plus fameux, il en existe également de remarquables à Florence et à Venise.

Tableau de micro-mosaïque figurant le Pape Léon XIII bénissant la foule devant la basilique Saint-Pierre-de-Rome © Corning Museum of Glass in Corning, New York
Tableau de micro-mosaïque figurant le Pape Léon XIII bénissant la foule devant la basilique Saint-Pierre-de-Rome © Corning Museum of Glass in Corning, New York

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces ateliers connaissent leur âge d’or. À Rome, ils sont à leur apex près de deux cents. La demande est importante et s’étend à toutes sortes de sujets : sites archéologiques, architectures emblématiques, églises, basiliques et paysages, portraits, oiseaux et autres animaux sauvages ou domestiques.
L’engouement se fait ressentir jusqu’à Paris puisque le musée Charles X, au Louvre, présente plusieurs cheminées enrichies de ces remarquables créations. Mais ce sont surtout les collections des particuliers qui se doivent d’en présenter ; les micro-mosaïques sont une preuve d’élégance, de goût sophistiqué et éprouvé par un indispensable voyage de jeunesse : le Grand Tour.

Micro-mosaïques : les souvenirs du Grand Tour

Voyage initiatique mis à la mode en Angleterre au XVIIIe siècle, le Grand Tour est à la fois une expérience formatrice et la preuve d’un statut social élevé. À une époque où voyager est aussi dangereux que coûteux pour qui ne dispose pas de moyens financiers, s’engager dans un périple de plusieurs mois à travers l’Italie et parfois l’Europe de l’ouest plus largement, est un privilège des classes aisées.
Le critique anglais Samuel Johnson (1709 – 1784) considère même comme fondamental pour l’éducation des aristocrates ce voyage à l’étranger. Les jeunes privilégiés rapportent notamment des antiquités d’Italie et lancent ainsi une mode qui se communique à leurs voisins continentaux. De l’aristocratie, la mode passe à la haute bourgeoisie et lorsque les moyens ne sont pas assez conséquents pour acquérir de véritables œuvres antiques, les heureux voyageurs rapportent à leurs proches les preuves élégantes de leur tout nouveau goût, néoclassique et assuré.

Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
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Une croix ornée de micro-mosaïques

Les croix, les bijoux ou les petits objets ornés étaient alors très appréciés. Ici, le haut de la croix est ornée d’une vue de la basilique Saint-Pierre-de-Rome dont on admire la coupole de Michel Ange et la colonnade du Bernin.

Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
En dessous, les colombes du Saint-Esprit et de la Pax, la Paix.
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
À l’extrémité de chacun des bras sont figurés, à droite, la basilique Sainte-Marie-Majeure et, à gauche, l’archibasilique Saint-Jean-de-Latran.
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Un chrisme surmonte sur le mat principal de la croix une vue de Saint-Paul-hors-les-murs.
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
Croix en métal et micro-mosaïque, XIXe siècle
En un coup d’œil, les vues de cette croix embrassent tous les hauts lieux de la Chrétienté à Rome. Sûrement, cela exclut que cette croix ait pu être achetée à la fin du XIXe siècle par un Anglais ou toute autre personne de confession protestante.
Enfin, on notera une esthétique très proche de celle de la famille Castellani dont les premiers objets et bijoux à sujets chrétiens en micro-mosaïque ont été créé au milieu des années 1850.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire