Précieux oreillers

Les oreillers rigides en Chine ne datent pas d’hier. Déjà sous la dynastie Sui (581 – 618), ils sont luxueusement confectionnés. Nombre d’entre eux, en céramique, ont été découvert dans des contextes funéraires et ont pu avoir plusieurs fonctions, en plus de supporter la tête du défunt.
Néanmoins, ils ne sont pas uniquement réservés au sommeil éternel, loin de là !

Dans la Chine ancienne, ils sont le quotidien des classes les plus aisées. Le marbre et la céramique sont alors les matières privilégiées. La production de ceux en céramique en particulier, culmine sous la dynastie Song (960 – 1279) dont les pièces parvenues jusqu’à nous sont assurément les plus remarquables.
Ce sont des objets particulièrement appréciés des lettrés et de l’aristocratie. On leur prête la capacité de rafraîchir la tête durant l’été, d’aider à maintenir sans les abîmer des coiffures très élaborées (aussi bien pour les femmes que pour les hommes) et de garder les yeux en bonne santé. Par ailleurs, leur réalisation en céramique exige de grandes compétences, faisant de chacun de ces oreillers, des objets d’art à part entière, encore aujourd’hui très prisés.

Oreiller chinois en porcelaine, XII - XIIIe siècle © MET Museum
Oreiller chinois en porcelaine, XII - XIIIe siècle © MET Museum

Les dynasties Ming (1421 – 1644) et Qing (1644 – 1911) observent le déclin progressif de cet objet traditionnel au profit d’oreillers plus souples. Cependant les coussins rigides demeurent mais se conçoivent désormais dans une large palette de matériaux. Le cuir, le jade, l’osier, le bambou ou le bois laqué sont parmi les plus employés.

Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle
Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle

Si sa notion de confort peut sembler relative aux Occidentaux, l’oreiller rigide permet toutefois une grande liberté artistique et adopte ainsi toutes sortes de physionomies ou de décors. Les motifs sont prophylactiques ou érudits, les formes élégantes sont souvent auspicieuses lorsqu’il s’agit d’un animal. Parfois même le décor peut être un texte spirituel ou philosophique, participant ainsi à l’élévation de l’âme de celui qui s’y repose.

À partir des Qing, les couleurs sont essentiellement choisies pour leur symbolisme, comme ici le rouge, couleur de la joie qui favorise un sommeil paisible.

Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle
Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle
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L'oreiller chinois, un accessoire médical

Les oreillers rigides chinois ne sont pas uniquement les accessoires du lit mais bien des « outils » médicaux qui servent aussi à corriger les défauts de la colonne vertébrale, à favoriser la bonne circulation du qi, (fluide vitale circulant en et entre toutes choses) et à apporter vitalité et longue vie au propriétaire et utilisateur de l’oreiller.

C’est dans cette volonté de protéger ou de soigner le corps qu’une ou plusieurs cavités étaient souvent aménagées dans l’oreiller afin d’y placer des fleurs ou des plantes médicinales. Parfois encore, l’oreiller était lui-même conçu dans un matériau bienfaisant aux vertus reconnues.
Ainsi, nombre d’oreillers étaient sculptés dans des bois odoriférants tels que le cèdre rouge ou le bois d’aloès, on les conservait alors dans des boîtes durant la journée afin de préserver leurs fragrances. On sculpte aussi les bois précieux comme le palissandre et le buis.

Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle
Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle

Sous les Qing (1644 – 1911), ces oreillers de bois semblent avoir été très répandus au milieu et à la fin de la dynastie.L’usage se répand partout dans la société et l’on trouve plus souvent des oreillers en bambou tressé et peint ou en cuir pour les oreillers de voyage.

Notre oreiller rigide en bois n’est creusé d’aucune cavité dans laquelle disposer des fleurs ou plantes médicinales. Très probablement, il fut fabriqué dans un bois indigène odoriférant, qui n’est hélas plus identifiable. Aussi, le raffinement des couleurs rouge et or, l’attention à la sculpture, indiquent que le propriétaire de cet oreiller possédait un niveau social relativement élevé, en tous cas suffisamment important pour acquérir une pièce peinte et sculptée avec goût dans un bois odoriférant et précieux.

Une autre hypothèse pourrait être que cet oreiller ait appartenu à une fumerie d’opium. Les établissements les plus luxueux disposaient à destination de leurs clients un mobilier raffiné où les lits et les oreillers de bois étaient indispensables. La physionomie de cet oreiller, le visage doux et somnolant du personnage sculpté pourrait être une référence à l’état « second » que recherchaient les clients des fumeries au XIXe siècle.

Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle
Oreiller chinois de fumerie d'opium , XIXe siècle

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire