Charles Hofman, un sculpteur talentueux mais discret

C’est en 1896 que Charles Hofman voit le jour. Ce sculpteur à la carrière prolifique mais discrète réalisa nombre d’œuvres sculptées rendant hommage à la vie politique française et aux conflits qui émaillèrent le XXe siècle. Il se fait connaître comme statuaire à Versailles et se trouve bientôt sollicité pour réaliser de nombreuses œuvres dont plusieurs monuments aux morts, dont celui de Jarville-la-Malgrange en Meurthe-et-Moselle inauguré en 1926. Ce monument offre une certaine ressemblance à celui que le sculpteur réalisa à La Souterraine, dans la Creuse, et inauguré en 1923. Tout au long de sa carrière, Charles Hofman emploie aussi bien la pierre que le bronze.

Plaque de bronze réalisée par Charles Hofman pour le monument aux morts de La Souterraine.
Plaque de bronze réalisée par Charles Hofman pour le monument aux morts de La Souterraine.

Nous sommes en 1920 lorsque le sculpteur entreprend de réaliser ce buste de Georges Clémenceau. À cette époque, ce dernier vient tout juste de se retirer définitivement de la vie politique.

Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)
Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)

Né le 28 septembre 1841 à Mouilleron-en-Pareds dans la Vienne et mort à Paris le 24 novembre 1929, Georges Clémenceau dit « Le Tigre » fut président du Conseil sous la Troisième République (1870 – 1940) de 1906 à 1909 puis de 1917 à 1920. il avait pourtant d’abord entrepris des études de médecine, était devenu médecin des pauvres à la fin du Second Empire, son désir de Justice est tel que la politique se fait une évidence. Il devient maire de Montmartre pendant la Commune avant d’entrer dans les arcanes de la politique française et de marquer durablement l’histoire de la première moitié du XXe siècle.

Anticléricaliste chevronné, il prône avec détermination la séparation entre l’Église et l’État, et défend avec vigueur le principe d’un État laïc, respectant toutes les croyances de manière égale sans avoir à en reconnaître aucune. Selon lui, il est impératif que l’État n’ait pas à intervenir dans la religion et dans les croyances du citoyen, pas plus que la religion et les croyances n’aient à se mêler du fonctionnement de l’État.

Opposant farouche à la colonisation, il contribue en 1882 à faire tomber les ministères Ferry puis Freycinet, justement sur cette question. Ses solides réquisitoires lui valent bientôt une réputation de « tombeur de ministères ». Celui du 31 juillet 1885 en est un exemple célèbre :

Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent, ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ? races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs.

Extrait de La colonisation est-elle un devoir de civilisation ? Georges Clémenceau
31 juillet 1885

Il fonde le journal quotidien La Justice dont la première parution est en kiosque le , avant de travailler à L’Aurore et de prendre une part active dans la défense du capitaine Dreyfus. Après avoir été convaincu de la culpabilité du capitaine, Clémenceau se fait finalement un de ses plus ardents défenseurs, reconnaissant son erreur initiale et allant jusqu’à faire son propre réquisitoire, publié le 25 décembre 1897. Entre cette année et 1901, il écrit plus de 600 articles ayant trait à l’affaire.

En mars 1906, il est nommé ministre de l’intérieur et se désigne lui-même comme le « premier flic de France », une comparaison promise à un bel avenir. À cette occasion, Clémenceau prend son surnom du « Tigre ». Il réprime durement les grèves qui éclatent à la suite de l’explosion dans une mine à charbon de Courrières, le 10 mars 1906. Cet important mouvement de grève marque assurément la montée en puissance du socialisme et du syndicalisme au début du XXe siècle.

Lors du déclenchement de la Première Guerre Mondiale en 1914, il se montre extrêmement critique envers le gouvernement en place, tandis qu’il maintient et proclame haut et fort son opposition à l’Empire allemand. Le 16 novembre 1917, il est nommé Président du Conseil par le président Poincaré, confiant dans sa capacité à réunir les camps politiques et à affirmer une détermination capable de battre en brèche le défaitisme ambiant. Son implication est grande et il se rend à plusieurs reprises sur la ligne de front, au côté des soldats.

Partisan farouche d’une victoire totale, son gouvernement du pays en pleine guerre mondiale et son rôle de principal négociateur dans le Traité de Versailles lui valent à l’issu du conflit le surnom de « Père la Victoire ». Dix jours après la signature de l’armistice, le 21 novembre 1918, alors qu’il est âgé de 77 ans et qu’il n’a jamais candidaté, il est élu à l’Académie française, comme le maréchal Foch. Cependant, il ne vint jamais siéger sous la coupole, peut-être pour ne pas y croiser Raymond Poincaré…

Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)
Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)
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Clémenceau et les impressionnistes : une amitié indéfectible

Mis en minorité en 1920 lors du vote préparatoire du groupe républicain à l’Assemblée nationale, il signe son retrait définitif de la vie politique.

Dès lors, Clémenceau retrouve notamment le temps pour retrouver Claude Monet, ami de longue date, un intime de toujours dont il admire l’œuvre. La correspondance entre les deux hommes, surtout au lendemain de la guerre, témoigne d’une amitié profonde et d’une admiration réciproque.

Claude Monet et Georges Clémenceau, en juin 1921, dans le jardin de Giverny, du côté du pont japonais aménagé par le peintre. © Getty - Samji Kuroki
Claude Monet et Georges Clémenceau, en juin 1921, dans le jardin de Giverny, du côté du pont japonais aménagé par le peintre. © Getty - Samji Kuroki

Clémenceau achève d’installer la renommée du peintre qui avait été longue à venir. Monet lui indiquait dans une lettre au lendemain de l’armistice qu’il tenait à lui offrir deux des grands panneaux des Nymphéas dont la réalisation l’avait absorbé pendant toute la guerre. À peine reçoit-il la lettre, Clémenceau se rend chez son ami et face à l’œuvre unique, sans pareil, il convainc Monet de faire don à la France non pas de deux panneaux mais de tous les Nymphéas. Le peintre accepte et le Tigre emploie alors toute son énergie à lui offrir un écrin unique, à la hauteur de son œuvre. Ce sera l’Orangerie, hommage à l’ami d’une vie qui façonne lui-même le bâtiment pour accueillir ces paysages floraux et aquatiques immenses.

Mais Clémenceau défendait plus largement les artistes de son époque. Manet qui l’a peint lui est aussi redevable. Sa collection d’art asiatique vint enrichir les collections du Musée Guimet. À sa mort, Clémenceau est une figure populaire, dont on reconnait le poids politique et culturel. Nul doute que c’est à cette figure patriote et amie des arts, incontournable de la France de la première moitié du XXe siècle, que Charles Hofman ait voulu rendre hommage avec ce buste de bronze.

Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)
Buste de Georges Clémenceau (1841 - 1929), sculpté et signé par Charles Hofman (1896 - 1965)

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire