Manfredo Massironi (1937 - 2011), designer d’art optique

Né à Padoue, cet artiste italien suit les cours de design industriel et d’architecture à l’institut universitaire d’architecture de Venise. Il en sort diplômé en 1959. Ce rapport direct au réel, aux matériaux et à leurs mises en œuvre lui offre les compétences de mathématiques et d’ingénierie qui lui permettent bientôt de faire œuvre original au sein d’un mouvement artistique occidental.

Tout juste diplômé, Massironi est plongé dans la création contemporaine qui fait alors la part belle à l’art cinétique et à l’art optique, mouvements qui prennent une nouvelle ampleur en Europe. Si déjà des recherches et initiatives avaient pressenti le développement de ces formes artistiques, ces mouvances basées sur l’étude des illusions d’optique éclosent véritablement au début des années 1960.

Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970
Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970

Avec les artistes Edoardo Landi, Toni Costa, Ennio Chiggio et Alberto Biasi, Massironi fonde en 1959 le Gruppo N qui se singularise pas une approche scientifique et rigoureuse des phénomènes perceptifs. Il s’agit d’exploiter les faiblesses de l’œil humain pour fabriquer des illusions et des jeux d’optique capables de déstabiliser la perception. La nouveauté de ce mouvement tient à l’indispensable implication du spectateur dans l’activation des phénomènes perceptifs : selon la place où il se tient, selon la manière dont il regarde l’œuvre bidimensionnelle ou tridimensionnelle, l’effet optique n’est pas le même. La déstabilisation est le maître mot et c’est paradoxalement l’œil le premier responsable de ce déséquilibre. C’est bien ici le regard qui est le moteur de l’œuvre, à la différence de l’art cinétique, où l’œuvre est mise en mouvement par une énergie, indépendamment du regard du spectateur.

En 1964, un article publié dans Time Magazine décrit avec précision ce nouveau style et le baptiste du nom d’Optical art, le définissant par la capacité d’une œuvre statique à donner l’impression de mouvement, en appliquant des formules mathématiques et en exploitant les phénomènes physiques de la vue.

La bibliothèque Tyco, ou l’Optical art au quotidien

Comme ses comparses, Manfredo Massironi emploie dans ses œuvres des formes géométriques simples dont la superposition, la combinaison ou le regroupement créent des illusions d’espace et de mouvement. Alors que nombre d’artistes expriment ces jeux d’optique sur des toiles, Manfredo Massironi tire parti de sa formation en design d’objet et en architecture. C’est ainsi qu’il imagine une étagère bibliothèque mêlant le volume architectural au design industriel et à l’Optical art.

Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970
Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970

Cette étagère murale entièrement emboîtable est conçue comme un assemblage de pièces en bois laqué et répond aux exigences d’une production rationalisée. Nous sommes alors dans les années 1970 et Massironi dessine ce meuble pour Nikol international.

Baptisée Tyco, cette bibliothèque est immédiatement un succès. Depuis le milieu des années 1960, le grand public a été familiarisé avec l’art optique. Ludique, dégagé de toute signification – ce que lui reprochent d’ailleurs beaucoup de critiques -, l’art optique a envahit l’espace publique, de l’affiche à la mode en passant par la décoration.

Le meuble Tyco insuffle toutefois un peu de fraîcheur en invitant la tridimensionnalité déstabilisante de l’Optical art à l’intérieur même du foyer. Rare mobilier d’art optique, cette bibliothèque n’est pas une création de galerie, mais entend bien offrir une expérience visuelle et artistique quotidienne à son propriétaire.

Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970
Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970

La structure repose sur un assemblage ingénieux de lignes droites et de lignes courbes. Alors que les côtés rectilignes de chaque assemblage assoient le meuble dans l’espace, lui donnant l’assise et la stabilité d’une architecture, les courbures investissent l’espace en une expansion mise en mouvement par les différences de profondeur de chaque étagère.

Comme une bulle prête à exploser ou comme un ballon qui serait en train d’être gonflé, Tyco semble envahir l’espace et grandir puis rétrécir au fil de la journée si elle se trouve placée dans une pièce éclairée de lumière naturelle. Cette « respiration » lente est un effet visuel collatéral et plus discret que celui, plus frontal, de cette sphère en expansion.

Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970
Étagère murale - bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International, années 1970

L’art optique bénéficia dans la seconde moitié du XXe siècle d’une réception large et fut décliné par plusieurs artistes, dans plusieurs pays. En France, Sonia Delaunay expérimenta ainsi au sein de ce courant, notamment pour la décoration de la voiture de sport Matra 530.

Toutefois, l’étagère-bibliothèque Tyco fut un des rares objets de l’Optical art à connaître une telle postérité. Assurément, ce meuble est aujourd’hui une pièce iconique du mobilier design du siècle dernier.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet