Lorsque André Le Nôtre (1613 – 1700) commence à dessiner et à façonner les jardins de Versailles, l’attention est évidemment tournée vers les spectaculaires jeux d’eau qui font bientôt la fierté du roi Louis XIV et l’une des plus grandes célébrités de Versailles.

Chaque bassin est implanté dans les jardins selon un programme savamment conçu, mettant en scène les récits mythologiques d’une antiquité glorifiée, comme une métaphore des nombreuses facettes de la toute puissance du roi. Le palais installé sur une perspective traçant un axe ouest (Cour de marbre et Chambre du roi) et est (grand canal), le Roi s’éveille et s’endort comme le soleil se lève et se couche. De part et d’autre, côté jardin, se déploie un programme qui exige plusieurs années de travaux et mobilise les plus grands artistes de l’époque.

L’Allée d’eau

En 1661, André Le Nôtre termine à peine les jardins de Nicolas Fouquet, qu’il se remet déjà à l’ouvrage à Versailles, en 1662. Deux ans plus tard, en 1664, soit dix-huit ans avant que Louis XIV et la cour ne s’installent définitivement à Versailles, le jardinier du roi entreprend de tracer l’Allée d’eau, dite aussi Cascade de la Pyramide. L’ensemble est implanté sur le parterre nord, dont la pente régulière mène d’abord au Bassin du Dragon, puis à l’immense Bassin de Neptune. Le Bassin de la Pyramide est installé en 1671.

Au premier plan, le bassin du Dragon marque le point de départ de l'Allée d’Eau, rythmée de part et d’autre par quatorze fontaines, menant au Bassin des Nymphes puis au Bassin de la Pyramide.
Au premier plan, le bassin du Dragon marque le point de départ de l'Allée d’Eau, rythmée de part et d’autre par quatorze fontaines, menant au Bassin des Nymphes puis au Bassin de la Pyramide.

Cette allée retrace l’épopée d’Apollon, de son combat contre le serpent Python – narré par le Bassin du Dragon – à la victoire du dieu et à la création de son sanctuaire, à l’emplacement de la mort  du reptile, et enfin, à l’installation de la prêtresse, la Pythie de Delphes.

Apollon, dieu de la Lumière, ne laisse planer aucune ombre, c’est pourquoi il est aussi le dieu de la Vérité. Lorsqu’il fait ériger son sanctuaire, où n’importe qui peut poser toutes sortes de questions à la Pythie, il permet ainsi aux mortels d’avoir accès à la connaissance. Les propos de la Pythie sont cependant très énigmatiques, sibyllins, et nécessite d’être interprétés. Accéder à la connaissance, à la parole du dieu, est ainsi un parcours long, fastidieux. À l’instar d’une pyramide, cette expérience permet à chacun de gravir successivement des degrés de compréhension, raison pour laquelle cette forme est utilisé ici pour incarner l’élévation spirituelle.

La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin
La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Le plan du parterre fait d’ailleurs véritablement progresser le visiteur du bas vers le haut, du contrebas du Bassin du Dragon vers les hauteurs du Bassin de la Pyramide, installé en face de l’Aile du nord. Ainsi la fontaine en plomb de ce dernier bassin est-elle conçue pour rappeler son lien avec Apollon. Haute de quatre mètres, elle est couronnée d’une vasque portée par quatre écrevisses reposant sur une seconde vasque portée par quatre dauphins, animaux consacrés au dieu. Sous ces derniers, une troisième vasque est soutenue par quatre jeunes tritons, eux-mêmes installés sur une vasque portée par quatre tritons adultes, dont notre exemplaire en bronze est inspiré.

Lorsque la fontaine est mise en eau, cette dernière jaillit et « forment comme autant de cloches de cristal qui s’élargissent à mesure qu’elles descendent en bas » (Félibien, 1674), formant alors une pyramide liquide. Le trop-plein d’eau alimentait le Bassin des Nymphes en contrebas ainsi que les quatorze fontaines de l’Allée qui se plaçaient sur le même réseau hydraulique.

La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles
La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles

Les tritons du Bassin de la Pyramide

Les tritons adultes de ce bassin marquent leur affiliation à Apollon par leur couronne et leur ceinture de feuilles de laurier, autre fameux attribut du dieu.
La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles
La fontaine de la Pyramide, dessinée par François Girardon pour les jardins de Versailles

Les dessins de Girardon laissent transparaître la recherche du mouvement baroque de cette seconde moitié du XVIIe siècle. Les torsions des corps, la recherche et l’opposition savante des courbes et contre-courbes créent une farandole turbulente qui s’anime encore davantage sous la cascade d’eau.

Dessin Girardon / Simon Thomassin, La Fontaine de la Pyramide. Gravure publiée dans Simon Thomassin, Recueil des statues, groupes, fontaines, termes, vases et autres magnifiques ornemens du château et parc de Versailles, 1694, pl. 142. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, GR 159 © Château de Versailles / Christophe Fouin
Dessin Girardon / Simon Thomassin, La Fontaine de la Pyramide. Gravure publiée dans Simon Thomassin, Recueil des statues, groupes, fontaines, termes, vases et autres magnifiques ornemens du château et parc de Versailles, 1694, pl. 142. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, GR 159 © Château de Versailles / Christophe Fouin

Notre bronze est en cela une vivante interprétation de ces tritons rapides, et il n’aurait sans doute  pas démérité aux yeux d’un exigeant François Girardon !

Un triton en bronze d’après les sculptures de François Girardon (1628 - 1715) à Versailles
Un triton en bronze d’après les sculptures de François Girardon (1628 - 1715) à Versailles
Acquérir ce bronze

Alors qu’à Versailles le projet de faire de la fontaine de plomb une fontaine de bronze fut envisagé  pour le Bassin de la Pyramide en 1684, il ne sera jamais réalisé. Toutefois, on sait grâce aux archives que la fontaine était dorée et bronzée dès son installation en 1671. Les éléments de la fontaine sont régulièrement rebronzés aux XVIIe et XVIIIe siècles. En novembre 1822, l’ensemble est décrit comme en « état de destruction presque totale ». Il est alors entièrement déposé et restauré. C’est peut-être à cette occasion que vient à l’idée d’un bronzier de s’inspirer des tritons de la fontaine. Le bronze est alors préféré au plomb et sa patine laisse deviner une utilisation certainement moins longue qu’à Versailles, mais au moins aussi intensive ! Le métal s’est ainsi enrichi de nuances délicates, du mordoré au vert profond, donnant à ce triton un cachet unique et une grâce toute baroque.

Un triton en bronze d’après les sculptures de François Girardon (1628 - 1715) à Versailles
Un triton en bronze d’après les sculptures de François Girardon (1628 - 1715) à Versailles

La fontaine du Bassin de la Pyramide est à nouveau démontée entre septembre 1939 et juin 1941, dans la cadre de la défense passive. Notre triton du XIXe siècle fut sans doute également protégé par ses premiers propriétaires. Aujourd’hui, il est une occasion unique d’installer chez soi cet objet d’art imprégné de la grande Histoire, de l’Ancien Régime à nos jours.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet