Le renouveau du style Louis XV au XIXe siècle
Les arts décoratifs du XIXe siècle ne furent pas avares de nouveautés, de modes changeantes et de curiosités charmantes. Les styles Empire, Restauration, Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III se succèdent, étayant toujours davantage un vif engouement pour le japonisme et les chinoiseries, les styles d’Ancien Régime, puis tout cela à la fois avant de plonger dans les formes végétales de l’Art Nouveau. Dans ce dernier quart du XIXe siècle, le goût est éclectique mais l’asymétrie, la courbe et la fantaisie remettent à l’honneur un style rocaille qui connaît alors un nouvel âge d’or.
Certes, ce retour en grand pompe des références aux styles d’Ancien Régime n’est pas du goût de tous, néanmoins il ne s’agit pas de copier scrupuleusement. Un siècle sépare ces deux époques et la seconde fantasme souvent la première. Les décorateurs et les artistes font revivre les tableaux de Watteau et de Boucher. Les productions du goût rocaille se veulent gracieuses et raffinées. C’est surtout le règne de Louis XV qui séduit car il laisse le souvenir (doucereux) d’une époque heureuse et légère, aux préoccupations gracieuses et charmantes. On cite la Pompadour ou la du Barry. Et cette paire de chenets est une évocation pure et simple de cette période et de son style.
Une nouveauté anime pourtant ces chenets, nouveauté ravissante que la cour de Louis XV aurait certainement adorée : deux petits bronzes d’oiseaux rehaussés de couleurs sont posés sur chacun enroulement végétal de bronze doré. On y verrait presque un hommage à Versailles où perroquets et perruches étaient légion, amusants les courtisants ou leur donnant cette touche d’excentricité indispensable pour éviter l’écueil du quelconque ou, pire, de l’anonyme.
Sur ces chenets, les bronzes d’oiseaux sont justement une production typique de Vienne dans la seconde moitié du XIXe siècle. Depuis le XVIIIe siècle, les artisans viennois se sont faits une réputation de leur savoir-faire dans le domaine de l’orfèvrerie et plus particulièrement, des bronzes. Leur réputation auprès des cours européennes et de la grandissante bourgeoisie n’était alors plus à faire.
Le succès international des bronzes de Vienne
En 1850, la première manufacture de bronzes de Vienne ouvre à l’initiative de Mathias Bermann à Hernals, tout proche de la ville. L’artisan débute par la création de petites figurines décoratives en bronze pour orner les pipes. Il créé lui-même les moules, soigne la ciselure puis peint à la main les petits animaux et personnages tout droit sortis de son imagination. En 1873, il présente ses créations à l’Exposition Universelle de Vienne où le succès ne se fait pas attendre, marquant le début de la production, dans cette même ville, des fameux petits bronzes réputés pour leur grande qualité.
À la suite de l’initiative de Mathias Bermann, de nombreux ateliers ouvrent leurs portes et se spécialisent dans le travail minutieux des métaux et du bronze. On compte à la fin du XIXe siècle près de 120 artisans réunis sous le titre de « Wiener Bronzen ». Tous se distinguent par leur remarquable minutie et le sens du détail qui caractérise chaque sculpture. Les pièces se veulent uniques grâce à l’emploi d’une ciselure toujours différente et, parfois, de rehauts de peinture apposés à la main. Ce souci du détail fait la réputation des bronzes de la capitale autrichienne. On vante le naturalisme de cette production et la multitude de sujets disponibles.
Et sans nul doute, ces perroquets témoignent joliment de cette fameuse minutie. D’autant que la représentation animale est un terrain de jeu pour les bronziers et les ciseleurs qui s’en donnent à cœur joie, soignant les détails, parfaisant leur art au fur et à mesure de leurs productions.
À admirer ces oiseaux, on devine aisément l’observation minutieuse qu’en a fait le bronzier avant de se lancer dans le modelage puis la fonte de ces figurines. Le Jardin zoologique de Schönbrunn, ouvert en 1752, a sans doute joué un rôle majeur dans ce naturalisme remarquable, d’autant qu’au XIXe siècle, son accès était gratuit pour tous les visiteurs. À l’instar des peintres romantiques croquant les fauves à la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, les artistes et artisans viennois avaient à portée de main de superbes volières abritant des oiseaux exotiques au plumage coloré.
Ce goût pour la figuration animale facilité par le contexte social de l’époque permit aux bronziers et aux ciseleurs viennois de donner vie et mouvement aux bronzes grâce à de nombreux détails observés sur le vif et respectant ainsi le modèle naturel de chaque sculpture.
Alors, nos oiseaux sont de superbes œuvres de naturalisme. Chaque détail est soigné et les couleurs fidèles au modèle naturel. Chacun de ces oiseaux se veut une réplique de la réalité et l’effet escompté sur les objets d’art décoratif, comme ces chenets, est vraisemblablement un effet de trompe-l’œil.
Ces délicates créations rencontrent un véritable succès en France et jusqu’aux Etats-Unis où la bourgeoisie raffole de ces ravissantes petites sculptures. Les familles aisées ne se lassent pas de les collectionner si bien que l’usage de ses bronzes se décline bientôt sur d’autres objets qu’ils viennent animer de manière originale. Ce modèle de chenets témoigne de cet engouement et de cette nouvelle mode.
Considérant ce style éclectique puisant à différentes sources d’inspiration, il est clair qu’il s’agit à la fois d’un renouveau du style Louis XV, d’un goût pour le mouvement et la couleur – facilité par les innovations technologiques du XIXe siècle – et d’une attention portée en Europe à l’historicisme. Les styles anciens sont légèrement remaniés pour séduire un public qui n’est plus celui du siècle précédent, qui n’a pas les moyens de l’aristocratie d’Ancien Régime ni les mêmes usages domestiques et sociétaux. Entre tradition et innovation, les arts décoratifs oscillent pendant tout le siècle et signent ainsi des créations parfois uniques et souvent surprenantes. La bourgeoisie s’est appropriée les codes du goût français classique et n’hésite pas à les mêler à des nouveautés de son époque.
La taille de ces chenets en est d’ailleurs le témoignage. Leurs petites dimensions ne laissent aucun doute sur leur destination et leur usage en appartement – parisiens essentiellement – dans des cheminées qui n’ont plus la démesure de celles des palais. Entre les lignes, on devine le caractère du premier propriétaire de ces chenets : bourgeois, attentif aux détails des pièces ostentatoires de son appartement, soucieux d’être considéré comme une personne de son temps, suivant les goûts et sélectionnant ce qui se faisait alors de mieux : bronze doré style Louis XV et, naturellement, les incontournables bronzes de Vienne.
Comme un rare témoignage du quotidien de la seconde moitié du XIXe siècle, ces chenets incarnent tout le renouveau et la richesse créative de cette époque, depuis l’aménagement intérieur jusqu’aux valeurs revendiquées dans la manière de le meubler.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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