Jacob Desmalter (1770-1841), ébéniste de l'Empire
Fils du bien nommé Georges Jacob – notoirement l’un des personnages à l’origine du style Louis XVI – François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770–1841) pousse ses recherches vers un néoclassicisme proche de celui du peintre David avec qui l’ébéniste travaille souvent. Fort de la réputation de son père, Jacob-Desmalter va parvenir à faire montre de son talent propre jusqu’à devenir l’ébéniste incontournable de l’Empire. Ses carnets de commande ne désemplissent pas et pour acquérir une pièce du maître il faut être aussi fortuné que patient, bien que sa fabrique de meubles à Paris emploie un peu plus de 300 employés !
Cette console que nous présentons possède toutes les caractéristiques des meubles de prestige du début du XIXe siècle : forme géométrique et allure imposante, essence de bois luxueuse, marbre sobre mais élégant, bronzes délicatement ciselés et dorés.
La typologie du meuble n’est pas non plus anodine. Alors que la commode avait connu son âge d’or au XVIIIe siècle, la console lui vole la vedette en ce début de XIXe siècle. L’époque Empire ne jure que par elle et en fait usage dans toutes les pièces de la demeure. Elle rythme les espaces et marque la symétrie alors que l’on ne s’acoquine plus de l’exubérance baroque des formes végétales. Elle correspond surtout à l’idée que la société se fait du mobilier gréco-romain antique : simple, utile, droit et luxueux.

Le retour de la campagne d’Égypte (1798 – 1801) porte déjà les prémices du style Empire. Ce dernier s’impose finalement sous l’impulsion notable des ornemanistes Charles Percier (1764 – 1838) et Pierre Fontaine (1762 – 1853) dont le riche Recueil des décorations intérieures est publié en 1801 remporte un vif succès avant d’être réédité en 1812. Dans cet ouvrage, de nombreuses gravures de motifs diffusent le nouveau goût dans toute la France, valorisant les fastes de l’Empire et le nouvel ordre qui doit l’accompagner.
Pourtant, ce style n’est finalement que la suite naturelle des formes adoptées par le style Louis XVI à la fin du XVIIIe siècle. Elles sont alors remodelées par l’idéal impérial auquel aspire l’Empereur. Les références à l’Empire romain sont partout : bronze à l’imitation des camés, couronnes de lauriers, sphinx et sphinges, lions, aigles et cygnes, palmettes et lyres ornent le mobilier de prestige comme celui du quotidien. Mobilier et arts décoratifs s’approprient les couleurs de l’antique domination romaine : pourpre impériale et or.

La console Empire : emblème du pouvoir napoléonien
Pour transcrire ce programme politique dans le mobilier, Jacob-Desmalter travaille aussi bien avec les ornemanistes qu’avec le peintre Jacques-Louis David (1748 – 1825), figure de proue du mouvement néoclassique dans l’art pictural. Ce dernier produit dessins et esquisses de mobilier en s’inspirant des découvertes faites à Herculanum et Pompéi dont les fouilles font alors l’objet d’une actualité suivie par les milieux aristocratiques et bourgeois en Europe.
La traduction contemporaine de ces formes antiques est à l’image de l’homme fort du pouvoir ; son idéal de résurrection de l’Empire romain n’est d’ailleurs un secret pour personne.
Plateau de marbre droit et strict, ceinture ornée, piètement légèrement épaulé et entretoise résolument ancrée dans le sol, tout est jeu de droites affirmées et de courbes discrètes, animées par un acajou chatoyant qui n’est pas sans rappeler la pourpre antique. Les bronzes finement ciselés animent les surfaces et empruntent leurs motifs au vocabulaire impérial romain et, plus largement, antique.

Un point remarquable : sur cette console, l’entretoise fait office de piètement. Les pieds en griffes de lions reposent sur l’entretoise où ils sont surélevés comme sur une estrade. C’est une caractéristique du style Empire qui se retrouve fréquemment dans la production de meubles prestigieux, en particulier dans celle de Jacob-Desmalter. L’entretoise ne sert plus seulement la stabilité du meuble, elle se fait piédestal, élevant la console pour mieux la mettre en valeur.
Le meuble Empire n’est plus un caprice d’Ancien Régime, que l’on place et que l’on déplace au grès des modes. Le meuble Empire s’empare de l’espace, s’ancre dans la pièce comme s’il avait toujours été là et que rien ne puisse jamais l’en déloger.

Les bronzes dorés de l'orfèvre Thomire (1751-1843)
Pour orner ces consoles, François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter collabore à Pierre-Philippe Thomire (1751-1843) qui élève son art à un tel niveau de qualité qu’il ne sera pas dépassé pendant tout ce siècle. Orfèvre sculpteur et bronzier, il fournit leur Majestés impériales et royales à partir de 1809. Il signe notamment, toujours avec Jacob-Desmalter, le berceau de vermeil de roi de Rome et développe son activité de manière quasiment industrielle ; au plus fort de sa carrière, pas moins de 700 ouvriers travaillent à son service.
Sur cette console, les bronzes produits par Thomire ont une ciselure d’une grande délicatesse, approchant la minutie d’une dentelle. Le modelé de chaque pièce accueille la feuille d’or sans rien perdre de la finesse des détails. Une fois fixés, les bronzes parfont le meuble pour révéler son identité forte, son acajou soyeux et la prestance de ses lignes.

Manifestement, les deux artisans d’art s’entendaient à merveille et cette entente créatrice permit de porter l’art décoratif et le mobilier à un rare degré d’excellence et de raffinement. Leur collaboration soutenue offrit ainsi au style Empire ses plus belles pièces. Cette console à la facture irréprochable révèle toute la superbe de cette association admirable et jamais égalée au XIXe siècle.

Marielle Brie
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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