Le Moyen-Âge considérait les odeurs comme des médicaments et l’usage d’épices, d’aromates et de bois odorants agissaient comme autant d’armes contre les miasmes en tous genres et même, croyait-on alors, contre les épidémies meurtrières. Si cet usage prophylactique demeure dans une certaine mesure, le siècle des Lumières renvoie davantage l’appréciation des odeurs à l’art subtil de magnifier ou d’accommoder les parfums. Alors que l’aménagement intérieur privilégie les petites pièces confortables plutôt que celles glaciales et ostentatoires du siècle précédent, le XVIIIe siècle multiplie les petits objets dévolu à l’usage des parfums, sous toutes sortes de formes et parfois alliés à des éléments d’éclairages.

Pot-pourri d'époque Louis XV, Charles-Nicolas Dodin pour la Manufacture de Sèvres, XVIIIe siècle © Musée du Louvre
Pot-pourri d'époque Louis XV, Charles-Nicolas Dodin pour la Manufacture de Sèvres, XVIIIe siècle © Musée du Louvre

Dans les intérieurs les plus élégants, ce sont des cassolettes, des pots-pourris ou des fontaines d’eau parfumée qui embaument subtilement l’air intérieur. Des recettes de pot-pourris ou de pastilles de fumigation qui une fois enflammées dégagent de délicats parfums, sont confectionnées par les parfumeurs et les maîtresses de maison. Comme pour les plus grandes marques aujourd’hui, la signature olfactive d’un intérieur agit comme la transcription du caractère des maîtres des lieux : la subtilité est de mise, les notes doivent être harmonieuses. Sans doute bien plus intransigeant que la vue qui se peut laisser tromper par de beaux atours, l’odorat est implacable et le jugement des senteurs peut être cruel s’il déplaît à la sensibilité des nobles nez…

Cassolette couverte ou brûle parfum. France, circa 1750/1800 © Musée du Louvre
Cassolette couverte ou brûle parfum. France, circa 1750/1800 © Musée du Louvre

Non content d’accaparer l’attention sans que l’on puisse s’y soustraire, le parfum d’intérieur donne aussi une place nouvelle aux objets qui le diffusent. Ainsi, cassolettes et brûle-parfums se font garnitures de cheminée, aux côtés des vases et pendules. Les urnes couvertes sont l’objet de compositions fantaisistes comme en témoignent les nombreuses livraisons à la Marquise de Pompadour. Le raffinement des matériaux, la finesse des bronzes et des porcelaines laissent imaginer les parfums savants que ces objets contenaient. Cependant, les substances odorantes n’ont pas toujours un contenant qui leur est spécifiquement attribué.

Cassolette en cuivre émaillé et bronze doré, Angleterre, 1787 © MET Museum
Cassolette en cuivre émaillé et bronze doré, Angleterre, 1787 © MET Museum

Les cassolettes contiennent parfois de l’eau parfumée ou des macérations de fleurs, d’épices et de sel que sont alors les pots-pourris. Quant à ces derniers, ils donnent leur nom à l’objet qui les contient : une petite boîte percée de trous que l’on nomme les « yeux ».

Pot-pourri
Pot-pourri "à vaisseau". Manufacture de Sèvres, Jean-Claude-Thomas Duplessis et Charles-Nicolas Dodin, vers 1760 © Musée du Louvre

Plus généralement, les vases à parfums ajourés reçoivent aussi bien des macérations odorantes que des pastilles de fumigations. Par ailleurs, le sel et l’humidité des pots-pourris oxydaient les métaux et encrassaient les porcelaines, exigeant donc un nettoyage fréquent, ce qui était également le cas pour les pastilles de fumigations.
Parfois, les doublures encore existantes permettent de se faire une idée de ce que l’objet a pu contenir et s’avèrent indispensables pour  protéger les matériaux précieux tels les laques ou les vernis Martin.

Le XIXe siècle et la multiplication des vases à parfum

Non seulement le XVIIIe apprécie les senteurs délicates et florales mais il a aussi le goût des fleurs fraîches ! Les salons ouvrent sur des jardins généreusement plantés de fleurs et de plantes odorantes et ce sont leurs motifs que l’on retrouve dans la porcelaine, le bronze doré ou la faïence, jusque sur les vases qui entendent diffuser un parfum aussi subtil que celui de Dame Nature. Ce goût ne faiblit pas au lendemain de la Révolution – doit-on rappeler que l’une des plus belles serres d’Europe en ce temps fut celle de Joséphine à la petite Malmaison ? – et les formes à l’antique déjà appréciées au siècle précédent se taillent désormais la part du lion. Si l’on sait l’aversion de Napoléon Bonaparte pour les parfums capiteux (il ne supportait que les effluves hespéridées de son eau de Cologne), il dut pâtir du goût de ses contemporains pour les intérieurs savamment parfumés. La mode ne passera pas après la chute de l’Empire.

Brûle-parfum néoclassique en bronze et lapis lazuli. Manufacture de Yekaterinburg, circa 1840 - 1850 © The Walters Art Museum
Brûle-parfum néoclassique en bronze et lapis lazuli. Manufacture de Yekaterinburg, circa 1840 - 1850 © The Walters Art Museum

La Restauration et tout le XIXe siècle alimentent et enrichissent l’attention portée aux parfums. La Révolution industrielle intensifie la pollution olfactive et dans les appartements urbains, les remugles sont estompés du mieux que l’on peut par force pots-pourris. Par engouement ou par nécessité, la maîtresse de maison digne de ce nom se procure des livres dédiés à la confection de parfums d’intérieur. Ainsi le Manuel du parfumeur de Madame Gacon-Dufour publié en 1825 a de quoi séduire puisqu’il propose

« les moyens de confectionner les pâtes odorantes, les poudres de diverses sortes […] les eaux de senteur, les vinaigres, […] pastilles odorantes, sachets pour les bains. »

La diversité des potions laissent imaginer la foultitude de contenants qui se proposent au XIXe siècle de les diffuser. L’industrialisation joue sa part bien sûr et ce sont nombre de cassolettes et brûle-parfums, de vases et de pots-pourris qui sont fabriqués en série dans des matériaux accessibles au plus grand nombre tel le laiton, l’étain, la céramique et même l’opaline. Le japonisme de la seconde moitié – et surtout de la fin du XIXe siècle – voit aussi la multiplication d’objets en émail cloisonné, importés de Chine qui les produit spécialement pour l’Europe. Le Japon n’est pas en reste et les brûle-parfums asiatiques se trouvent encore aujourd’hui dans différentes qualités, depuis le moyen de gamme jusqu’à des pièces plus soignées telles que celle-ci :

Brûle-parfum japonais en bronze, XIXe siècle.
Brûle-parfum japonais en bronze, XIXe siècle.
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Si le goût pour les parfums d’intérieur ne faiblit pas au XXe siècle, il délaisse peu à peu les objets qui d’ordinaire les accompagnent à mesure que les perfectionnements de l’industrie font évoluer les parfums d’ambiance vers les diffuseurs ou les bougies aux fragrances sophistiquées. Seul peut-être le pot-pourri tire son épingle du jeu par sa facilité de composition et son parfum durable. De nombreuses recettes et astuces sont aujourd’hui facilement accessibles sur internet ; une excellente raison pour acquérir une belle antiquité à la hauteur de votre création parfumée… Voilà bien une manière élégante de faire revivre chez soi les délicates subtilités du XVIIIe siècle !

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire

Brûle-parfum en bronze doré de style Régence, XIXe siècle.
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