Réunissant à la fois les riches chatoiements de la nacre et l’élégance d’une forme contenant intrinsèquement le nombre d’or, le nautile est un incontournable naturalia. Ces collections de curiosités de la nature, mêlées à celles faites de main d’Homme, se constituent en Europe à la Renaissance et préfigurent en quelques sortes nos musées contemporains. Princes et érudits humanistes, dignitaires et représentants de la haute bourgeoisie rassemblent dans des cabinets dédiées ou des meubles éponymes, de fabuleuses collections où se mélangent pêle-mêle toutes sortes d’œuvres ou de curiosités rendant hommage au génie de l’Homme ou à celui de la Nature et, toujours, à la création divine.
Entre admiration, croyances, ostentations et érudition, le cabinet de curiosités français, le wunderkammer allemand ou le studiolo italien travaillent à mettre en valeur le nautile qui se trouve alors à la jonction des découvertes mathématiques (en 1587, Jost Bürgi (1552 – 1632) – horloger, concepteur d’instruments de mesure, astronome et mathématicien suisse – se fait le précurseur du calcul logarithmique permettant de rendre compte géométriquement de la spirale des coquillages) et des premiers grands voyages d’exploration, des superstitions prophylactiques et des secrets de compositions artistiques.

Les nautiles : des œuvres d’art au statut particulier

Leur provenance, leurs tailles conséquentes ou la beauté de leur nacre sont autant de motifs de convoitise de ces nautiles pêchées dans des mers lointaines. Auréolés du mystère exotique qui accompagne les premières grandes explorations du Pacifique, ces coquillages intègrent dès le XVIe siècle les cabinets de curiosités les plus fameux du Vieux Continent.
Préalablement, le coquillage est poncé puis poli afin de dégager la couche nacrée. Cette dernière révélant de remarquables reflets iridescents, les artistes ne furent pas longs à l’orner ou la valoriser dans des pièces de plus en plus virtuoses. Pourtant, les nautiles, objets de curiosités et d’étude du monde et des merveilles qu’il recèle, ne basculent pas uniquement du côté de l’objet esthétique une fois enchâssés dans de précieuses montures.
Comme le précise l’historienne de l’art Sabine du Crest, « Alors que l’on pouvait craindre que les travaux d’érudition ne dépouillent les naturalia de leur exotisme, c’est en fait l’inverse qui s’est produit dans la conscience européenne. Les naturalia les plus étranges ou les plus surprenants – voire les plus inquiétants – ont en effet été d’emblée, ou presque, assimilés aux œuvres d’art et présentés dans des cabinets de curiosité du fait de leur étrangeté. » (in Sabine du Crest, « Des reliquaires d’un genre nouveau », Les actes de colloques du musée du quai Branly Jacques Chirac [En ligne]).
Leur valeur est donc bien supérieure à celle d’une simple curiosité, et se fait doublement œuvre d’art une fois le nautile travaillé par la main de l’artiste.

Paire de nautiles montés sur bronze, XIXe siècle
Paire de nautiles montés sur bronze, XIXe siècle
Acquérir ces nautiles

L’ornement est alors poussé à des raffinements d’un luxe inouïe. Les montures d’orfèvrerie sont sans doute les ornements les plus connus. Pourtant, ils ne se contentent pas toujours de l’or, de l’argent ou du vermeil. Parfois, les artistes y mêle des pierres dures ou précieuses, parfois même d’autres curiosités fascinantes tel le corail.
Les surfaces des métaux précieux sont polies, lustrées ou amaties, jouant de contrastes comme un écho aux reflets changeants de la nacre. Les montures et les pieds qui les portent sont le prétexte au XVe et XVIe siècle d’envolées baroques où des tritons, des dauphins ou des sirènes, des personnages allégoriques ou bizarres évoquent les origines réelles ou mythiques du nautile.
Parfois encore, le nautile est considéré pour sa forme et prend part à un jeu de recomposition hétéroclite d’une créature (souvent un animal fantastique) ou d’un navire, souvenir de son voyage depuis le lointain Pacifique jusqu’aux cabinets de curiosités européens. À cet exercice, l’orfèvre Wenzel Jamnitzer ( circa 1507- 1585) est sans aucun doute le plus virtuose. Cet orfèvre et graveur maniériste originaire de Vienne exerça longtemps à Nuremberg où le sollicitaient tous les plus grands princes allemands qui maintinrent sa charge d’orfèvre de la cour de règne en règne.

Wenzel Jamnitzer, Nautile enchâssé dans une monture de poule en vermeil. Circa 1550-75 © Kunsthistorisches Museum, Vienne

Plus rarement, c’est la surface même du coquillage qui est le support de l’art. Le nautile est gravé de motifs opposant le mate au brillant. Ces œuvres, moins ostentatoires, sont empruntes de beaucoup de poésie :

Cornelis Bellekin, Coquille de nautile en nacre sculptée de vrilles florales. Circa 1650 - 1700 © Rijksmuseum
Cornelis Bellekin, Coquille de nautile en nacre sculptée de vrilles florales. Circa 1650 - 1700 © Rijksmuseum

Les nautiles : objets d’art et d’étude

Spécifique à l’art de la Renaissance, le statut particulier de ces coquillages entremêle art et érudition, comme une synthèse représentative de l’esprit humaniste du XVe et XVIe siècle. La recherche esthétique des orfèvres ne retire rien à l’étude des scientifiques. Et, lorsque les natures mortes illustrent ces cabinets de curiosités qui perdurent aux XVIIe siècle, le spectateur est happé par la précision naturaliste aussi bien que par la fascination que le nautile exerce sur l’artiste. La translucidité de la coquille, les reflets complexes de la nacre sont autant d’exercices de virtuosité pour le peintre qu’ils passionnent l’intérêt du scientifique.

Maerten Boelema De Stomme (1611 - après 1644), Nature morte à la cruche et au nautile. Huile sur panneau, entre 1642 et 1644. Conservé dans les collections des Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique.
Maerten Boelema De Stomme (1611 - après 1644), Nature morte à la cruche et au nautile. Huile sur panneau, entre 1642 et 1644. Conservé dans les collections des Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique.

Le début de la mondialisation, le développement et les progrès techniques et scientifiques du siècle des Lumières puis le bouleversement de la Révolution industrielle au XIXe siècle affadiront l’attrait pour les cabinets de curiosités qui le sont de moins en moins. Au XIXe siècle, la bourgeoisie se plaît encore à amasser quelques collections de naturalia dans de charmantes vitrines mais ce loisir relève davantage du besoin d’asseoir une condition sociale que de la fascination pour des merveilles exotiques. Désormais, il s’agit de rendre compte de ce que la science a élucidé ou bien d’imiter les habitudes d’Ancien Régime en accumulant des pièces montées en orfèvrerie. Le XXe siècle délaissera quant à lui les cabinets de curiosités mais se passionnera pour les arts premiers qui possèdent alors le même attrait exotique et fascinant que les nautiles à la Renaissance.
Aujourd’hui, si la mode des cabinets de curiosités refait surface, force est de constater qu’elle s’entiche davantage de l’effet esthétique de l’accumulation plus que de la beauté baroque de pièces uniques. Malgré cela, si les modes passent, les nautiles gravés, ornés ou montés en orfèvrerie demeurent de superbes pièces de collection toujours avidement convoitées sur le marché de l’art.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire