Depuis l’Antiquité, l’animal fascine et inspire. Des amulettes égyptiennes à forme de scarabée au bestiaire de bronze apprécié à la Renaissance, l’animal est stylisé ou au contraire traité de manière naturaliste. Quelques siècles plus tard, la révolution industrielle du XIXe siècle éveille autant l’admiration de la machine que son rejet : émerge un impérieux besoin de retour à la nature et à ses forces sauvages. Les animaux deviennent ainsi des sujets nouveaux traités pour ce qu’ils sont, des créatures emblématiques d’une nature fidèlement rapportée par les explorateurs et les campagnes scientifiques menées au XVIIIe siècle et pendant tout le XIXe siècle. 

Les premières bénéficiaires de ce nouveau goût animalier plébiscité par la bourgeoisie sont les fonderies Barbedienne et Susse Frères. Avant elles, Antoine-Louis Barye avait déjà fondé sa propre fonderie pour éditer ses œuvres.

La sculpture animalière au XIXe siècle : Antoine-Louis Barye, le maître incontesté

Son père, orfèvre parisien, le forme aussi bien à l’orfèvrerie qu’à la sculpture. Depuis l’ouverture officielle du Jardin des Plantes et de sa ménagerie en 1794, le zoo est assidûment fréquenté par les artistes et Antoine-Louis Barye ne déroge pas à cette fascination pour la nature sauvage. À force d’observation patiente, de croquis et de recherches naturalistes, le sculpteur parvient à saisir avec une remarquable acuité ce qui fait la nature profonde de chaque animal. 

Antoine-Louis Barye, Lion au serpent, modelé en 1832, probablement exécuté en 1847 ou 1848 © MET Museum
Antoine-Louis Barye, Lion au serpent, modelé en 1832, probablement exécuté en 1847 ou 1848 © MET Museum

Barye préfère au repos paisible de ses modèles, des épanchements belliqueux ou furieux dans une verve toute romantique ; ce sont d’ailleurs ces violentes pulsions de vie appréciées du sculpteur qui séduisent le plus le public. Les musculatures puissantes et la cruauté des combats transparaissent avec emphase dans ses œuvres les plus célèbres parmi lesquelles le Lion et serpent ou le Jaguar dévorant un lièvre. 

Antoine-Louis Barye, Jaguar dévorant un lièvre © Walters Art Museum
Antoine-Louis Barye, Jaguar dévorant un lièvre © Walters Art Museum

Ses modèles favoris restent sans conteste les grands fauves, talonnés de près par les chevaux qui désarçonnent leur cavalier pour leur voler la vedette. L’emblématique Cheval turc est à cet égard un chef d’œuvre du genre. Inspiré du groupe antique de Marc Aurèle et d’œuvres de la Renaissance – dont celles de Léonard de Vinci – ce cheval fut décliné par Barye lui-même en sept versions avec des variations de taille, de forme de la base et de position des jambes du cheval.

Antoine-Louis Barye, Cheval turc jambe antérieure gauche levée © Sotheby’s
Antoine-Louis Barye, Cheval turc jambe antérieure gauche levée © Sotheby’s

Virtuose du bronze et maîtrisant toutes les étapes de la sculpture, Barye alla jusqu’à ouvrir sa propre fonderie en 1838. Si le public fut d’abord frileux face à ces seuls animaux fondus sans aucune figure humaine, la nouveauté virtuose ne tarda pas à enflammer les amateurs et collectionneurs si bien que Théophile Gautier donna à Barye le surnom aussi curieux que mérité de « Michel-Ange de la ménagerie » !

C’est pourtant au tournant du XXe siècle que va véritablement se cristalliser l’engouement pour les bronzes animaliers. De nouveaux artistes émergent et s’éloignent doucement du naturalisme romantique pour esquisser le monde animal d’un œil moderne. Sensibles au cubisme, aux lignes dépouillées et à l’Art Déco, les sculpteurs animaliers créent un bestiaire novateur pourtant ponctués de références antiques.

Les sculptures animaliers du XXe siècle : Pompon, Bugatti, Godchaux et Guyot

François Pompon (1855 - 1933)

Les béotiens le connaissent sans savoir son nom, les amateurs le reconnaissent au premier coup d’œil. François Pompon est sans doute l’un des grands précurseurs de la sculpture animalière moderne. Sa manière unique capable de saisir la ligne de force d’une silhouette et son goût pour les surfaces polies ont élevé ses animaux au rang d’icônes régulièrement bataillées aux enchères. 

François Pompon, Ours blanc n° 7, 1927, bronze par Valsuani en 1927, signé et numéroté 7 sur la patte postérieure gauche, marque «C.Valsuani Paris Cire Perdue» sous la patte antérieure droite © Gazette Drouot
François Pompon, Ours blanc n° 7, 1927, bronze par Valsuani en 1927, signé et numéroté 7 sur la patte postérieure gauche, marque «C.Valsuani Paris Cire Perdue» sous la patte antérieure droite © Gazette Drouot

Pourtant, sa reconnaissance vint tardivement et il demeura longtemps dans l’ombre des artistes pour lesquels il fut un marbrier particulièrement apprécié.

Son père, compagnon du devoir menuisier – ébéniste, fait la première partie de sa formation qui se poursuit chez un marbrier, en parallèle de cours du soir aux beaux-arts de Dijon. En 1875, à vingt ans, Pompon s’installe à Paris où les cours du soir ne sont plus pour lui aux beaux-arts mais à la Petite École (alors le nom de l’école des Arts Décoratifs). La ménagerie du Jardin des plantes le passionne et il s’y rend régulièrement. Il y fait des croquis et plus tard il y modèlera des animaux sur le vif, usant de son établi portatif, avant de remanier ces ébauches en terre fraîche dans son atelier.

Quatre ans plus tard, il fait ses débuts au Salon et en 1890, il entre dans l’atelier de Rodin comme praticien ; Pompon admire profondément Rodin et ce dernier le tient en grande estime. Pompon restera six années dans l’atelier du maître.

La vogue du japonisme n’épargne pas les sculpteurs et Pompon succombe lui aussi au charme des lignes claires des estampes japonaises. Au Louvre, il admire les œuvres égyptiennes qui le captivent tant que sa première sculpture animalière connue (en 1874) est celle d’un lucane. En 1905, il renonce définitivement à sculpter des figures humaines et se consacre uniquement à celles des animaux. Ce choix s’accompagne d’une manière nouvelle, toute personnelle : tous les détails naturalistes sont gommés, les surfaces ne reproduisent plus fidèlement la fourrure ou le plumage, au contraire, elles sont lissées et polies. En cela, Pompon semble suivre l’adage de Rodin qui déclarait que « copier la nature ne consiste pas à la reproduire trait pour trait. »

Il lui faut pourtant attendre plus de 15 années avant que son travail ne soit enfin apprécié. En 1922, l’Ours blanc remporte enfin un franc succès au Salon d’automne. On y admire ce travail épuré capable pourtant de rendre tout le mouvement propre à ce carnivore à l’allure lourde et chaloupée. Fort de son succès, il fonde en 1927 le Salon des animaliers contemporains. 

François Pompon, Poule Cayenne. Signée, numérotée et portant le cachet du fondeur « F POMPON (6) CIRE PERDUE A.A. HEBRARD » (sur la terrasse à l’arrière). Bronze à patine noir brillant. Modèle conçu en 1906, cette épreuve a été fondue en 1910 © Christie’s
François Pompon, Poule Cayenne. Signée, numérotée et portant le cachet du fondeur « F POMPON (6) CIRE PERDUE A.A. HEBRARD » (sur la terrasse à l’arrière). Bronze à patine noir brillant. Modèle conçu en 1906, cette épreuve a été fondue en 1910 © Christie’s

Puis ce sont des taureaux et même des animaux de basse-cour à qui Pompon rend hommage quand le monde artistique les regarde avec mépris. Sa manière aboutie magnifie les sujets et semble donner le change à ce qu’affirmait Brancusi : 

Ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses. Partant de cette vérité, il est impossible à quiconque d’exprimer quelque chose de réel en imitant la surface des choses.

Roger Godchaux (1878 - 1950)

Ses dons pour le dessin et le modelage sont très tôt reconnus aussi ne tarde-t-on pas à le faire entrer à l’école des Beaux-Arts de Paris. Visiteur assidu du Museum d’Histoire naturelle, du Jardin des plantes et de la Ménagerie, Roger Godchaux forme son œil, éprouve son sens de l’observation et réalise des sculptures animalières imprégnées de Barye dans le fond mais pas dans la forme. Si la patte de l’artiste est impressionniste, ses sujets sont moins enragés que ceux du maître du XIXe siècle ! Fauves et éléphants sont représentés dans leur quotidien, paisibles et sans artifice. Les études sont précises et réalistes si bien que les sculptures sont admirablement naturalistes. Tout comme Paul Jouve, Godchaux apprécie les textures apparentes, les rugosités qui modulent la surface et donnent vie aux animaux. Le sculpteur confia une grand part de sa production aux fonderies Susse frères mais signa également des contrats d’édition avec Valsuani, Gatti, Andro ou Planquette.

Roger Godchaux (1878-1958), Lionne aux aguets, vers 1925-1930. Bronze signé. Cachet du fondeur Susse Frères, Paris, Collection particulière © La Tribune de l’Art
Roger Godchaux (1878-1958), Lionne aux aguets, vers 1925-1930. Bronze signé. Cachet du fondeur Susse Frères, Paris, Collection particulière © La Tribune de l’Art

Rembrandt Bugatti (1884 - 1916)

Le jeune artiste met fin à ses jours à l’âge de 31 ans. Pourtant, son travail rencontre presque immédiatement le succès. Comme ses contemporains animaliers, il fréquente assidûment les jardins zoologiques et son œuvre naturaliste ne tarde pas à faire place à une manière unique, puissante et moderne. La galerie Hébrard qui le représente ne peut satisfaire tous les collectionneurs et encourage l’artiste à fournir davantage de modèles, édités en général à une dizaine d’épreuves numérotées, une nouveauté pour l’époque. 

Sensible à l’accueil très amical des artistes au zoo d’Anvers, Bugatti part s’installer en Belgique, sans pour autant délaisser Paris, ville dans laquelle il revient régulièrement. Au zoo d’Anvers, il trouve un lieu à la mesure de sa fascination pour le monde animal et celui des fauves en particulier. Frans Franckx, gardien de la ménagerie, l’accepte dans ses occupations professionnelles quotidiennes et permet ainsi au sculpteur d’être au plus près des félins. Il sympathise si bien avec un lionceau que l’animal deviendra un de ses modèles de prédilection !

Rembrandt Bugatti (1884 - 1916), Panthère moustachue feulant, 1906, épreuve en bronze à patine brune nuancée de vert, fonte à cire perdue Hébrard.
Rembrandt Bugatti (1884 - 1916), Panthère moustachue feulant, 1906, épreuve en bronze à patine brune nuancée de vert, fonte à cire perdue Hébrard.

Édouard-Marcel Sandoz (1881 - 1971)

Originaire de Bâle en Suisse, Édouard-Marcel Sandoz s’inscrit aux Beaux-Arts de Paris en 1905. Il ne lui faut que trois petites années pour décider de se consacrer uniquement à la sculpture animalière. Un petit hibou en marbre gris marque ses débuts et annonce sa manière stylisée et géométrique. Constamment à la recherche d’une forme de vérité animale, son atelier devient une véritable ménagerie dans lequel il accueille toutes sortes d’animaux à poil ou à plumes ; un fennec en particulier sera le sujet de plusieurs œuvres stylisées. C’est d’ailleurs ce petit modèle à grandes oreilles qui est aujourd’hui un des modèles les plus prisés des collectionneurs. Sandoz eut l’occasion d’observer l’animal dans son habitat naturel en Afrique du Nord si bien qu’il pu retranscrire avec talent et réalisme les lignes et les mouvements du « renard des sables » dans ses sculptures de bronze. Du fennec au chat en passant par les requins ou les fauves, aucun animal n’échappa à la patiente contemplation de Sandoz et sa ménagerie de bronze. L’artiste aux lignes synthétiques orienta son style vers plus de réalisme à partir des années 1930.

Édouard Marcel Sandoz (1881-1971), Marmotte à l’arrêt, bronze à patine noir nuancé gris, cire perdue de E. Robecchi, vers 1928 © Gazette Drouot
Édouard Marcel Sandoz (1881-1971), Marmotte à l’arrêt, bronze à patine noir nuancé gris, cire perdue de E. Robecchi, vers 1928 © Gazette Drouot

Georges Guyot (1885 - 1972)

Le jeune homme débute sa carrière chez un sculpteur en bois du faubourg Saint Antoine à Paris. Comme nombre des artistes de l’époque, il fréquente le Jardin des Plantes et le Louvre où il admire les œuvres de Barye. Il s’engage à 18 ans dans l’armée, au régiment d’infanterie de Rouen, sans pour autant délaisser sa pratique artistique qu’il poursuit aux cours du soir des Beaux-Arts de la même ville. C’est justement son professeur de l’époque qui l’encourage à envoyer un ours époustouflant de talent au Salon des Artistes français. Le comité n’hésite pas un instant et accepte l’œuvre du jeune Guyot. La Première Guerre mondiale vient bouleverser les plans de carrière du jeune sculpteur et il doit, pour différentes raisons, délaisser son art pendant une petite dizaine d’années.
Finalement, il rejoint le Groupe des Douze autour de Pompon ; son succès est quasiment immédiat, sa carrière est lancée et il reçoit régulièrement des commandes de l’État. S’il apprécie les félins, il s’intéresse également aux ours et aux singes, des modèles moins convoités dont il parvient à saisir l’instinct profond. Très proche de la mouvance Art Déco, Guyot n’est ni dans une pure stylisation à la Pompon ni dans le réalisme romantique de Barye. À mi chemin, dans un style unique, il retranscrit la dangerosité calme des fauves, l’espièglerie curieusement humaine des ours et le regard provocateur des singes turbulents. 

Georges-Lucien GUYOT (1885-1973), Ours polaire debout, le modèle conçu vers [1929], exemplaire n° 6/7. Collection privée
Georges-Lucien GUYOT (1885-1973), Ours polaire debout, le modèle conçu vers [1929], exemplaire n° 6/7. Collection privée

Cette succincte présentation des principaux sculpteurs animaliers ayant marqué le XIXe et le XXe siècles ne doivent pas faire oublier les talents qui brillèrent en France et dans les pays voisins. Pour n’en citer qu’un, souvenons-nous du sculpteur Jean Gaspar (1861  1931), considéré comme le Bugatti belge et dont nous présentions il y a quelques temps la superbe épreuve d’un éléphant.

Éléphant en bronze daté et signé Jean Gaspar.
Bronze signé Jean Gaspar et noté "mars 1918" sur la terrasse.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire