Céramiste et sculpteur, Luca della Robbia n’aurait certainement pas désavoué notre copie qui s’inspire sans doute de l’habitude que l’artiste avait lui-même de conserver ses œuvres dans la terre cuite.

Luca della Robbia (1399 - 1482) : le plus grand classiciste du XVe siècle

Si l’on s’en tient aux Vies de Vasari, il faut d’abord considérer l’erreur du biographe qui fait naître l’artiste 11 ans plus tôt que nécessaire. On apprend tout de même grâce à lui les détails de son apprentissage :

Il y fut élevé [nda dans la maison de ses ancêtres] avec soin, jusqu’au moment où son père le plaça chez Leonardo, fils de Ser Giovanni, qui était regardé comme le plus habile orfèvre qu’il y eût alors à Florence. Après avoir appris, sous la direction de ce maître, à dessiner et à modeler en cire, Luca s’enhardit, et attaqua le marbre et le bronze avec tant de succès, qu’il laissa l’orfèvrerie pour s’adonner entièrement à la sculpture.

Vasari, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Just Tessier, 1841, Tome 1 et Tome 2.

Rapidement, le trait se fit classique, sobre et tout en retenu. Déjà il excelle dans cette sculpture élégante sur les bas-reliefs qu’il sculpte pour orner le campanile de Giotto. On y voit, nous rapporte Vasari, « la Grammaire représentée par Donato, la Philosophie par Platon et Aristote, la Musique par un joueur de luth, l’Astrologie par Tolomeo, et la Géométrie par Euclide. » Aujourd’hui, le Museo dell’Opera del Duomo conserve également la Métallurgie et la Pédagogie, également œuvre de della Robbia. 

Luca della Robbia: la Métallurgie, la Pédagogie et la Philosophie (Platon et Aristote) © Gli Scritti
Luca della Robbia: la Métallurgie, la Pédagogie et la Philosophie (Platon et Aristote) © Gli Scritti

La sobriété de della Robbia, tant par les formes que par le trait, le place en porte à faux avec les artistes de son temps. Davantage sensible à l’esprit apollinien, della Robbia n’aime rien tant que la mesure et la maîtrise, l’ordre et la simplicité. Face à lui – ce qui sera presque littéral dans le chœur de Santa Maria del Fiore – un Donatello (1386 – 1466) passé maître dans un expressionnisme déterminé à singulariser les figures, à traduire une personnalité intérieure et non pas l’idéal d’une émotion, apparaîtra dans un style penchant vers le dionysiaque. 

Le chœur de la cathédrale de Santa Maria del Fiore à Florence

Poursuivons la lecture de Vasari : 

L’an 1405, les marguilliers, reconnaissant le mérite de Luca, et cédant aux conseils de Messer Vieri de Médicis, qui l’aimait beaucoup, lui confièrent l’exécution des ornements en marbre du grand orgue que l’on construisait alors, et qui fut placé au-dessus de la porte de la sacristie de Santa-Maria-del-Fiore. Luca forma son soubassement de Chœurs de Musiciens et de Chanteurs, qu’il traita avec un tel art, que l’on distingue facilement leurs moindres mouvements, quoiqu’ils soient élevés à seize brasses du pavé de l’église.

Vasari, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Just Tessier, 1841, Tome 1 et Tome 2.

Ce que ne dit pas (encore) Vasari, c’est que la dite installation fut partagée entre deux génies de la sculpture Renaissance. Luca della Robbia obtint la commande qui allait surplomber la porte de la sacristie des Messes – œuvre qui l’occupa de 1431 à 1438 – tandis que Donatello fut chargé de celle qui serait placée au-dessus de la porte de la sacristie des chanoines, travail qui lui nécessita 6 ans de travail entre 1433 et 1439.

Salle des chœurs, Museo dell'Opera del Duomo © Opera di Santa Maria del Fiore
Salle des chœurs, Museo dell'Opera del Duomo © Opera di Santa Maria del Fiore

On ne pouvait choisir deux artistes plus opposés et il suffit d’admirer ces balcons présentés aujourd’hui au Museo dell’Opera del Duomo pour mesurer l’effet que fit l’affrontement de ces deux réalisations spectaculaires au cœur même de la cathédrale florentine. 

Chaque balcon devait accueillir les chantres (cantorie) lors des cérémonies. Avantageusement installés en hauteur sur les balcons des piliers nord-est et sud-est de la croisée des transepts, chanteurs et musiciens étaient chaleureusement invités à donner de la voix puisque la disposition des cantorie permettait une diffusion – d’aucuns diraient aujourd’hui « en stéréo » – des chants, résonnant ainsi aux oreilles de tous les fidèles pieusement réunis. 

Le chœur de Luca della Robbia : chef d’œuvre de la Renaissance

Notre copie en plâtre correspond précisément au premier cadre sculpté de la cantoria de Luca della Robbia. Sur l’avant du balcon, quatre cadres sont délimités dans une structure architecturale sobre rythmée par des pilastres d’inspiration antique. Ce garde-corps repose sur cinq consoles ornées d’une frise d’oves et de feuilles d’acanthe. Sur les plinthes et entablements sont gravés les paroles en latin du psaume 150, le dernier du livre des Psaumes, intitulé Laudate Dominum.

Verset 1 : 

Louez l’Éternel ! Louez Dieu dans son sanctuaire ! Louez-le dans l’étendue, où éclate sa puissance !

Verset 2 :

Louez-le pour ses hauts faits ! Louez-le selon l’immensité de sa grandeur !

Verset 3 :

Louez-le au son de la trompette ! Louez-le avec le luth et la harpe !

Verset 4 :

Louez-le avec le tambourin et avec des danses ! Louez-le avec les instruments à cordes et le chalumeau !

Verset 5 :

Louez-le avec les cymbales sonores ! Louez-le avec les cymbales retentissantes !

Verset 6 :

Que tout ce qui respire loue l’Éternel ! Louez l’Éternel !

Ce texte qui fut régulièrement mis en musique au fil des siècles est une invitation à la louange de Dieu, en particulier une recommandation sur la manière dont loué Dieu grâce aux instruments de musique. C’est ce qui fait ici le sujet des moyens reliefs sculptés par della Robbia. 

Chœur en marbre sculpté De Luca della Robbia pour Santa Maria del Fiore à Florence en Italie.

Sept instruments de musique sont énumérés dans le Laudate Dominum et sont indiqués pour la célébration du Seigneur. La trompette est la première nommée car elle est l’instrument par excellence appelant au rassemblement. Le luth, la harpe et les instruments à corde habillant mélodieusement le chant depuis l’Antiquité et sont les premiers instruments qui accompagnent la louange. Les instruments à percussion (tambourin et cymbales) rythment le chant tandis que le chalumeau, une petite flûte au son mélodieux contraste avec les autres instruments et rappelle la voix humaine.

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

Ainsi, notre plâtre bronzé est une fidèle copie de ce premier panneau. Le spectateur y retrouve une retenue heureuse dans laquelle les danses charmantes des enfants illustrent la joie portée par le Laudate Dominum. Au son des trompettes, les corps s’animent et initient le mouvement qui rythme les panneaux suivants. La disposition est en ce sens parfaitement classique, sobre et contenue. 

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

Les haut, moyen et bas relief choisis par della Robbia participent également à cette impression d’effervescence, l’effet est d’ailleurs saisissant lorsqu’il est observé un peu de côté, comme il l’était depuis la cathédrale de Santa Maria del Fiore par la foule réunie lors des célébrations religieuses. 

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

La sérénité des visages, la sobriété élégante des attitudes, les draperies légères et soignées sont le gage d’une parfaite lecture de la scène. Cette clarté scénographie tire ainsi parti de la lumière et joue sur ses mouvements au fil de la journée pour animer les scènes imaginées et sculptées par della Robbia. 

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

Il en est tout autrement du parti pris par Donatello dont beaucoup considèrent cette œuvre comme étonnement expérimentale. Ses personnages engagés dans une danse effrénée semblent rapidement brossés, à peine esquissés. 

Chœur en marbre sculpté par Donatello et faisant face à celui de Luca della Robbia dans la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence © Artsdot
Chœur en marbre sculpté par Donatello et faisant face à celui de Luca della Robbia dans la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence © Artsdot

De près, la cantoria de Donatello apparaît brouillonne mais de loin, c’est un chef d’œuvre. En prenant en compte le recul des spectateurs, Donatello applique à sa sculpture les mêmes principes que ceux appliqués à la peinture de la coupole de Santa Maria del Fiore et dont Vasari reconnaît les qualités :

Cet artiste laissa ses figures presque à l’état d’ébauche ; il comprit que de loin elles produiraient beaucoup plus d’effet que celles de Luca, et que l’œil ne perdrait rien. Cela mérite toute l’attention des artistes, car l’expérience a prouvé qu’une statue ou une peinture, vue de loin, a infiniment plus de force et de relief si elle est largement ébauchée, que si elle est minutieusement finie. En outre, les ébauches, dans le feu de la composition, prennent un caractère vigoureux qui trop souvent disparaît sous les mains de ceux qui ne peuvent ou ne savent s’arrêter à temps.

Vasari, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Just Tessier, 1841, Tome 1 et Tome 2.

Une chance donc que notre plâtre ait choisi de reproduire l’œuvre de della Robbia plutôt que celle de Donatello ! Car si nos intérieurs modernes ont un confort supérieur à celui d’une cathédrale italienne de pierre et de marbre, ils n’ont en revanche pas ses proportions gigantesques et préfèrent au dionysiaque de Donatello la clarté classique apollinienne de della Robbia.

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

Pour conclure, rappelons que Luca della Robbia ne fut pas seulement un sculpteur génial, il fut également un céramiste de talent. Sans doute le temps consacré à son œuvre sculptée en bronze et en pierre lui inspira l’envie de s’essayer à des matériaux moins exigeants et moins coûteux, en énergie autant qu’en investissement. C’est ce que rapport Vasari, toujours dans les Vies : 

Mais lorsque notre artiste récapitula les profits que lui procuraient ces travaux, et le temps et les fatigues qu’ils lui coûtaient, il se trouva en perte et résolut de quitter le marbre et le bronze pour chercher quelque métier plus fructueux. Il pensa que la terre se travaillait facilement, et qu’il fallait seulement imaginer un moyen capable de conserver longtemps les ouvrages de ce genre. Après de nombreux essais, il parvint à leur donner l’éclat et la durée du marbre, en les recouvrant d’un vernis composé avec de l’étain, de l’antimoine et d’autres minéraux et ingrédients fondus au feu. Par cette invention, Luca acquit de justes titres à la reconnaissance de ses contemporains et des siècles à venir.

Vasari, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Just Tessier, 1841, Tome 1 et Tome 2.

Ainsi, on peut imaginer assez librement que della Robbia n’aurait pas désavoué cette belle copie en plâtre, d’autant que cette dernière, à l’échelle 1:1, ne trahit ni les volumes ni la composition de ce chef d’œuvre de l’art classique qui resta en place pendant plus de deux siècles. C’est seulement en 1688, à l’occasion du mariage de Ferdinand de Médicis, prince de Florence, grand-duc héritier de Toscane (1663 – 1713) avec Violante-Béatrice de Bavière (1673 – 1731) que les deux chœurs sont retirés car passés de mode. Ils furent successivement conservés à la Galleria degli Uffizi puis au Bargello avant d’être installés au Museo dell’Opera del Duomo lors de sa première ouverture en 1891. Ils n’ont plus bougé depuis. 

Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence
Le chœur de Luca della Robbia pour la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire