Thomas Hache : l’ébéniste de haute volée
Noël Hache était moins destiné à la découpe de placages précieux qu’à celle des pâtons auquel son père maître boulanger le destinait. Il en fut pourtant autrement car le jeune homme envisageait pour lui une autre carrière. Il donc quitta la boulange pour apprendre à Calais l’art de l’ébénisterie, s’imprégnant des goûts et techniques flamandes et hollandaises. Le voici plus tard à Toulouse où naît son fils Thomas. Comme son père avant lui, Thomas Hache entreprend un « grand tour » qui le mène à Paris où, sans doute, il fait une partie de son apprentissage auprès du célèbre Pierre Gole (1620 – 1684), ébéniste de Louis XIV. L’atelier de ce maître de la marqueterie, coloriste averti s’il en est, marque certainement une étape décisive dans le perfectionnement et de la technique et de l’œil de Thomas Hache.
Ce dernier ne demeure pourtant pas à Paris. Quittant la capitale, et avec elle ses possibilités de commandes prestigieuses et sa concurrence impitoyable, Thomas Hache part pour Chambéry. La ville savoyarde est alors sous domination italienne et le jeune ébéniste se forge un catalogue de motifs caractéristiques du goût italien. Enfin, il s’installe à Grenoble, à une soixante de kilomètres de la ville encore italienne.
Il entre dans l’atelier de Michel Chevallier (parfois orthographié Chevalier). L’homme familiarise le jeune Thomas avec le goût dauphinois et les essences locales. Ce goût restera. Après la mort de Chevallier en 1697, Hache épouse la fille de l’ébéniste et hérite de la charge de son beau-père. Le voilà maître de l’atelier en 1701. Selon le désir d’une clientèle aisée, il produit des meubles aux décors fouillés et chargés de bouquets, de corbeilles de fleurs, de médaillons et autres rinceaux.
Parallèlement à ce goût hérité de ses années à Chambéry, Hache s’emploie à privilégier sur nombre de ses meubles des panneaux de loupes naturelles ou teintées, relevées de filets sur des fonds de placages unis. Noyer, fruitiers, olivier, sycomore et frêne sont teintés à l’envie en vert, en rouge, en noir moiré ou en jaune quand ils ne sont pas laissés au naturel. Notre commode attribuable à Thomas Hache relève bien de ce goût dauphinois sobre et élégant, préférant aux essences précieuses exotiques des bois locaux si bien travaillés qu’on ne se lasse pas d’en admirer la beauté. Sans doute les loupes sont emblématiques de sa production et de celle de ses successeurs.
Hache : la renommée au-delà du Dauphiné
Au tournant du XVIIIe siècle, Grenoble est placée sous l’autorité du duc Louis d’Orléans (1703 – 1752), fils du Régent et petit-fils et petit-neveu de Louis XIV. Nommé gouverneur du Dauphiné en 1719, il décerne deux ans plus tard à Thomas Hache le brevet d’ébénisterie et de garde. La renommée de ce dernier, déjà bien amorcée, est désormais scellée. La clientèle d’abord aisée laisse bientôt place à l’élite ; elle est maintenant aristocratique et princière.
Pour l’historienne Françoise Rouge « les raisons d’une telle renommée reposent tant sur l’inventivité des montages et des formes que sur l’originalité et la qualité des décors, privilégiant l’emploi des bois indigènes et d’ornements spécifiques ». Le meuble de prédilection de Thomas Hache est alors celui qui, au début du XVIIIe siècle, est le plus à la mode : la commode.
Qui eut cru qu’un ébéniste de province pourrait prétendre égaler – et même surpasser ! – les meilleurs maîtres de la capitale ? À une époque où il était presque inconcevable de s’attirer les faveurs aristocratiques et princières ailleurs qu’en s’établissant à Paris, Thomas Hache faisait figure d’exception. Car si l’homme possédait un goût certain et original dans le maniement des couleurs, il était aussi particulièrement ingénieux. Il mit ainsi au point un système permettant de poser à la demande un plateau de marqueterie ou de marbre sur ses luxueuses commodes. La conception de chaque meuble était impeccable, la qualité d’exécution remarquable. À Paris, Hache devint incontournable.
Aujourd’hui, malgré un désintérêt malheureux pour les meubles du XVIIIe siècle, les productions de la dynastie des Hache – et celles de Thomas Hache en particulier – font encore et toujours figures d’exception. Il faut chercher une explication pour cet engouement jamais essoufflé dans la l’inépuisable savoir-faire de cet ébéniste mais aussi dans la rareté des pièces de sa main.
Avant son fils Pierre, les estampilles sont rares et il est souvent bien difficile d’identifier un meuble de la main du maître. Notre commode est une pièce de cette production exceptionnelle attribuable à Thomas Hache. Un véritable « morceau » d’histoire et d’ébénisterie dont la virtuosité est garantie à l’épreuve du temps.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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