Avec son piètement caractéristique, ce bureau Mazarin, s’il fait référence au célèbre ministre de Louis XIV entre 1642 et 1661, témoigne indirectement, non pas de l’habitude du cardinal, mais bien de celle des aristocrates.

Mobilier d'apparat

Reliés par une entretoise en X, les pieds supportent deux espaces de rangement, seulement séparés en leur milieu par un espace bien étroit que vient encore diminuer un petit placard. Nous peinons à comprendre comment cette disposition n’a pas suffisamment entravé celui qui voulait faire usage du bureau, pour décourager les ébénistes de reproduire ce modèle.

En réalité, nous adaptons inconsciemment nos usages à ceux de nos prédécesseurs. Usant de nos bureaux en nous y installant de manière à ce que notre buste soit parfaitement parallèle au plateau, nous augurons que cette position était aussi l’idéal du gentilhomme studieux. Il n’en ai rien.

Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle
Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle

Au XVIIe siècle, l’usage voulait que l’on s’assoit en angle : un genou sous la surface d’écriture et l’autre au dehors. Le choix de cette position n’est pas un caprice du Grand Siècle mais bien une nécessité : les membres de la noblesse portant l’épée la tenait toujours sur leur gauche. Pour ne pas rendre inconfortable le temps que ces personnes passaient à leur bureau, il était d’usage de se tenir en angle, l’arme portée à gauche ne venant pas frapper les montants du mobilier. C’est aussi la raison pour laquelle, toujours aujourd’hui, les cavaliers se mettent en selle en s’appuyant sur l’étrier gauche pour enfourcher leur monture.

Mobilier d'apparat

Réservées à une élite, ces pièces de mobilier sont souvent l’espace où s’exprime la virtuosité des ébénistes ou la richesse d’un commanditaire désireux d’exhiber des matériaux précieux, comme des laques orientales par exemple.

Sur notre bureau, la beauté des marqueteries de bois de violettes tient au raffinement des motifs, soigneusement élaborés et variés de manière à créer un jeu de lumière sur les différentes parties du meuble.

Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle
Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle

Les motifs géométriques sont obtenus par la technique du frisage consistant à plaquer sur un bâti en massif des feuilles de bois précieux coupées dans du bois de fil ou du bois de bout, en variant les orientations des coupes.

Ces deux techniques dites « de fil » ou « de bout » correspondent au sens de découpe du bois : alors qu’une coupe en bois de fil va suivre parallèlement le sens naturel des fils du bois, la coupe en bois de bout s’opère perpendiculairement aux fils du bois. De cette manière, l’ébéniste peut créer des effets optiques et décoratifs intéressants.

Coupe de bois de bout et de bois de fil © Bloc Poisson
Coupe de bois de bout et de bois de fil © Bloc Poisson

En multipliant les coupes, comme c’est le cas sur notre bureau, l’ébéniste multiplie les assemblages possibles et donc les motifs. La richesse de ce bureau Mazarin tient précisément à cette multitude de motifs quand d’ordinaire un bureau n’en compte que un ou deux.

Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle
Bureau Mazarin, premier quart du XVIIIe siècle
Technique de coupe pour créer un frisage en
Technique de coupe pour créer un frisage en "aile de papillon".

Hommage donc à ce talentueux ébéniste qui réalisa un frisage en fougère (entouré en bleu) dans lequel le veinage est orienté vers le centre du frisage, des compositions en ailes de papillons (entourées en blanc), très en vogue au XVIIIe siècle et créées grâce à des coupes de bois de bout. Des éventails de ces mêmes motifs sont aussi disposés dans les angles et sur chaque bord du plateau (encerclés en vert).

Comme il se doit, notre bureau est garni de tiroirs et d’un rangement central, tous ferment à clef. Sur les tiroirs, un simple frisage en losange est encadré d’un filet de bois de fil joliment disposé dans le sens vertical.

À la fois sobre par le choix de ses matériaux et raffiné dans la mise en œuvre du bois précieux, ce bureau Mazarin relève d’un mobilier aristocratique luxueux, élégant souvenir d’un modèle qui disparaitra au siècle suivant.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire