Jean Gaspar : le sculpteur qui échappa à l'Académie
Jean-Marie Gaspar (1861 – 1931) né dans un milieu bourgeois et confortable, enclin et sensible à l’art. Empruntant d’abord le chemin de la faculté des Sciences Appliquées de l’Université de Liège, il ambitionna un temps de devenir ingénieur. La fin de sa première année met abruptement un terme à cette voie puisque le jeune homme échoue aux examens en 1879. Un échec qui lui permettra d’exprimer finalement son véritable talent en se jetant corps et âme dans la carrière d’artiste sculpteur.
Poussé par son admiration inconditionnelle de Jef Lambeaux (1852 – 1908), célèbre sculpteur belge, il tente d’entrer aux Beaux-Arts mais ne brilla pas davantage qu’à la faculté et échoua. La déception due être amer mais Lambeaux flaira sans doute le talent de Jean et l’accepta comme élève au sein de son atelier.
Cette formation hors du parcours académique traditionnel n’est permis que par les moyens financiers de sa famille qui lui permettent de financer cet enseignement privé.
Jean Gaspar est certes talentueux mais l’aisance financière et le soutien de sa famille furent indispensables. Sans eux, il est certain que cette formation hors du parcours académique traditionnel eut été impensable ; l’enseignement privé n’était pas en effet à la portée de toutes les bourses.
Soucieux de la réussite de leur enfant, les parents de Jean Gaspar firent aménager en 1893 un atelier dans le jardin de leur nouvelle maison (actuellement le musée Gaspar), à Arlon en Belgique.
C’est en 1889 que débute officiellement sa carrière artistique, lors de l’Exposition Universelle de Paris. C’est ainsi que le public français pu découvrir un plâtre bronzé intitulé Enlèvement figurant deux hommes à cheval se disputant une femme tirée par les cheveux. Très probablement exposé dans une des galeries de palais des Beaux-Arts, cette oeuvre qui remporta une médaille de bronze a malheureusement disparue.
Il semble pourtant que le jeune homme ait marqué les esprits car dès 1893, le critique d’art Olivier-Georges Destrée (1867 – 1919) encense le jeune sculpteur et le considère comme un des plus remarquables sculpteurs de l’époque contemporaine. Sa carrière désormais lancée, Jean Gaspar multiplie les expositions et engage, à la même époque, un tournant décisif : son choix est fait, il se consacrera quasiment exclusivement à la sculpture animalière.
Jean Gaspar : sculpteur animalier
Pour parvenir à saisir la nature animale de ses nouveaux modèles, il visite assidûment le zoo d’Anvers, les cirques, les ménageries et lit avec avidité les ouvrages de Kipling. C’est ce dont témoigne les archives du Musée Gaspar.
Il travaille « sur le vif » exécutant peu de croquis d’animaux. Une fois adulte, il ne dessine presque plus, en tous cas très peu. Il préfère au crayon sa mémoire et beaucoup de ses essais ne dépassèrent pas l’esquisse miniature en terre.
Olivier-Georges Destrée qui a eu connaissance de ses cahiers scolaires « illustrés » de dessins témoigne du génie qui émane des chevaux cabrés, des batailles de titans, des guerres homériques. Encore une fois, le critique l’affirme : « Son imagination est splendide, prolifique, incoercible. Ces cahiers étonnants contiennent le germe de toute son oeuvre, lui qui n’a jamais eu de cours de dessin ».
Pour parvenir à saisir la nature animale de ses nouveaux modèles, il visite assidûment le zoo d’Anvers, les cirques, les ménageries et lit avec avidité les ouvrages de Kipling. C’est ce dont témoigne les archives du Musée Gaspar.
Il travaille « sur le vif » exécutant peu de croquis d’animaux. Une fois adulte, il ne dessine presque plus, en tous cas très peu. Il préfère au crayon sa mémoire et beaucoup de ses essais ne dépassèrent pas l’esquisse miniature en terre.
Olivier-Georges Destrée qui a eu connaissance de ses cahiers scolaires « illustrés » de dessins témoigne du génie qui émane des chevaux cabrés, des batailles de titans, des guerres homériques. Encore une fois, le critique l’affirme : « Son imagination est splendide, prolifique, incoercible. Ces cahiers étonnants contiennent le germe de toute son oeuvre, lui qui n’a jamais eu de cours de dessin ».
Sander Pierron (1872 – 1945), écrivain belge, fait également de lui un portrait saisissant : « Il est le plus psychologue de nos animaliers. Il fait des éléphants, des tigres, des sangliers, comme il ferait des portraits ; il scrute le caractère moral du modèle, comme il copie son aspect physique ».
Enfin, Eugénie De Keyser (1918 – 2012) historienne de l’art et essayiste, parle d’un psychologue qui fait des animaux. Rien de moins.
Dans son atelier, Jean Gaspar façonne et créé des argiles et des plâtres d’une force dynamique rare. Chaque animal prend vit sous sa main, un talent qu’exalte la patiente observation des animaux sauvages qu’il sculpte. Bien que méconnu en France, son talent est toujours comparé aujourd’hui à celui d’un Rembrandt Bugatti (1884 – 1916) italien ou d’un Auguste Trémont (1892 – 1980) luxembourgeois.
Jean Gaspar, artiste génial et tourmenté
L’interprétation de l’expression animalière, le sens profond du mouvement et des attitudes, la compréhension quasi parfaite de la psychologie de ses sujets témoignent d’une sensibilité à fleur de peau de ce sculpteur génial.
Dépressif comme l’était son père Alphonse, Jean Gaspar connut une vie familiale tumultueuse. Très attaché à ses œuvres, il souffre de s’en séparer. Son épouse Irma souffrit toujours du caractère asocial de son mari qui cherchait en permanence la solitude au point de déménager à Ixelles en juillet 1918, peu de temps après la création de notre bronze.
Irma sera pourtant toujours la première admiratrice du travail de son mari et bien que le couple finisse par se séparer, elle défendra toujours la cause de Jean Gaspar. Charles, le frère de Jean veilla à ce que ce dernier ne manqua jamais de de rien.
Pourtant, Jean Gaspar fut toujours englué dans un sentiment délétère de solitude et d’abandon. Malgré un succès affirmé, des commandes nombreuses depuis ses débuts, l’amitié de Jef Lambeaux et celle de quelques amis dont le poète Georges Marlow (1872 – 1947), Jean s’isola de plus en plus. Devenu alcoolique, il se tortura ne parvenant pas, selon lui, à rendre ses sentiments, ses impressions alors que dans les milieux artistiques et académiques, son œuvre ralliait l’admiration générale. Il détruisit de nombreuses maquettes ou ne les acheve pas, souvent déçu ou furieux contre lui-même.
Malgré ce retrait du monde, Jean Gaspar exposa fréquemment. En 1905 au salon du Cercle « Pour l’Art » à Bruxelles, il présenta une Lionne en bronze, plus grande que nature.
Il participa par la suite à de nombreuses expositions : à Bruxelles, le Salon triennal (1914), le Salon jubilaire de La Libre Esthétique (1908), le Cercle artistique, la Galerie Giroux à Bruxelles (une des plus importantes galeries d’art de Belgique), le Salon de l’Académie de dessin de Saint-Gilles, le Cornet (à Uccle) ; à Anvers, le Salon triennal de 1908, la Société d’encouragement des Beaux-Arts d’Anvers ; à Charleroi, l’Exposition de 1911, le Groupe des Beaux-Arts ; à Liège, le Salon du Palais des fêtes en 1927 et aussi à Paris, Lyon et Lille, à Liverpool et Edimbourg, à Scheveningen, à Venise (Grand salon des artistes belges), au Chili (Centenaire de l’Indépendance du pays). Au Salon du Cercle artistique en 1923, il réunit dix-sept bronzes et plâtres auxquels sont consacrées pas moins de trois salles du Palais des Expositions au Cinquantenaire à Bruxelles.
Il exposa lors de ces manifestations divers animaux sauvages ou domestiques, exotiques ou indigènes. Ce sont des études d’éléphants, un jaguar aux aguets, un félin flairant une piste, un puma bondissant, un groupe de lionnes, des buffles chargeant ou des coqs, des chevaux, un sanglier blessé, un cerf bramant, des chiens ou un taureau furieux.
Gaspar sacrifia une partie des œuvres de sa première période qui n’était pas exclusivement animalière. Ces sculptures néanmoins admirées par ses amis furent sévèrement jugées par l’artiste qui les considérait indignes de ce qu’il entendait réaliser.
Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles firent l’acquisition d’œuvres animalières, témoignant de l’intérêt porté au travail de Gaspar. Furent acquis L’Eléphant d’Afrique en marche (bronze) ainsi que La Lionne. La Panthère (1895), est toujours en place au jardin botanique de Bruxelles, près de l’escalier monumental. Le Buffle chargeant (plâtre) est à l’Ecole vétérinaire de Cureghem (Bruxelles).
C’est lors d’une cure de désintoxication que Jean Gaspar s’éteignit le 17 février 1931 à la Clinique Sainte-Elisabeth à Uccle où sa femme tentait de le faire soigner. Bien qu’elle vécut loin de lui, Irma essaya toute sa vie de prendre soin de lui.
De février à septembre 2019, la Musée Gaspar organisa une exceptionnelle exposition rétrospective de l’œuvre du sculpteur. Cette exposition rassembla, en plus des collections du musée, de nombreuses sculptures en mains privées qui n’avaient encore jamais été montrées au public. Un large espace fut donné à cette occasion aux éléphants de Jean Gaspar parmi lesquels nous avons pu retrouver une épreuve identique à la notre, qui a aujourd’hui rejoint une collection privée.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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