Dès l’Antiquité, deux jardins se côtoient : le jardin nourricier ou potager, le plus ancien des jardins domestiques, et un nouveau venu, le jardin d’agrément qui n’a d’autre rôle que celui de plaire aux sens. Ce dernier va désormais occuper les esthètes, les architectes et les artistes. Ainsi, les commanditaires de ces jardins font valoir par l’esthétisation d’une terre non exploitée – sinon pour leur plaisir – leur pouvoir économique et souvent politique.
L’époque médiévale porte haut le thème du jardin utilisé comme métaphore à de nombreuses considérations religieuses. Adjoint aux cloîtres et abbayes, il permet de cultiver notamment les plantes médicinales. Les épisodes les plus sentimentaux de l’amour courtois s’y tiennent, dans de petits jardins fermés (hortus conclusus) tout garnis de roses, de treilles fleuries et d’arbres fruitiers. Pourtant, il faut attendre le XVe siècle avant que ne s’implante solidement l’idée d’un jardin d’agrément « meublé » et décoré comme le sont les demeures.
Peu à peu, le jardin s’enrichit de banquettes de verdures, de chemins dissimulés sous des berceaux arborés ou garnis de fleurs pour se protéger du soleil. Une ou plusieurs fontaines prennent une place centrale dans la disposition du jardin et la garderont pour longtemps.
Ces aménagements onéreux sont l’apanage des plus aisés et c’est ainsi que l’on voit prendre forme l’ancêtre du jardin à la française en Italie, en Toscane plus précisément, alors que la Renaissance choisit pour capitale des arts la ville de Florence. Quoi de mieux en effet qu’une ville dont l’emblème au lys à donner son nom à l’une des plus célèbres cathédrales d’Europe, Santa Maria del Fiore ?

Le jardin à l’italienne

Au XVIe siècle, l’effervescence est à son comble à Florence. La puissance politique, culturelle et économique des Médicis a fait de la ville l’un des centres les plus riches d’Europe de l’ouest. Cosme Ier de Médicis s’attache les plus grands artistes et intellectuels de son temps par une politique de protection et de commande qui signe les grandes heures de l’art florentin. 
Au siècle précédent, le courant humanisme a remis au goût du jour la mode des villas édifiées dans la campagne toscane et toujours agrémentées d’un jardin dont Leon Batista Alberti donne l’organisation idéale dans De re aedificatoria :

[…] les formes ressemblent à celles que l’on donne aux maisons […] On y mettre des portiques pour donner de l’ombre, des berceaux où grimpe la vigne, disposées sur des colonnes de marbre, des vases et même des statues amusantes, pourvu qu’elles ne soient pas obscènes.

Jardin de Boboli, Florence © Firenze Card
Jardin de Boboli, Florence © Firenze Card

Il s’agit sans doute d’une des premières indications quant aux œuvres et objets qui peuvent orner un jardin. Dans ses prescriptions, Alberti n’ignore pas les goûts de son époque. Le choix du marbre fait notoirement référence aux horti marmorei romains, des « jardins de marbre » dans lesquels on exposait des pièces spectaculaires et sans aucun usage utilitaire. Le vase Médicis ou le vase Borghèse sont les plus fameux exemples de ces ornements.

Ainsi définit, le jardin italien va servir d’assise à l’élaboration du jardin à la française à l’époque classique. C’est ainsi que les premiers jardins de Versailles, s’ils dispersent sur leurs parterres des sculptures et des fontaines, sont aussi rythmés de vases.

Les vases des jardins à la française

D’abord à vocation utilitaire, les vases sont parmi les ornements les plus nombreux des jardins de Versailles et, plus généralement, des jardins à la française. C’est d’ailleurs cette utilité première qui explique l’emploie de différents matériaux comme la faïence, le métal ou la terre cuite mais excluant, dans un premier temps, le marbre. 
Au début du règne de Louis XIV, la faïence remporte un véritable succès, ponctuant les jardins de polychromie appréciable. Mais sa fragilité lui vaut d’être rapidement remplacée par des vases en métal peint de couleurs chatoyantes. La persistance du goût pour la faïence tend à imiter ses motifs et ses couleurs sur le métal.
Élégants, riches et solides, ces vases viennent dissimuler des jets d’eau ou servent de pots de fleurs. Les vases en terre cuite ou en faïence ne sont pas toujours abandonnés et servent de vases à orangers qui nécessitent de pouvoir être déplacés lorsque le temps se rafraîchit.
Le luxe que représente alors ces plantations d’agrumes contamine parfois les vases qui les contiennent. À Versailles, on va jusqu’à réaliser pour ces orangers des vases d’argent qui font partie du fastueux mobilier d’argent de Louis XIV. Tout comme les autres pièces spectaculaires de ce mobilier, les vases seront fondus pour financer les guerres du roi en 1689 et 1709. Il n’en reste aujourd’hui plus rien si ce n’est leurs pendants en bronze et en métal, réalisés pour les jardins, et qui laissent imaginer l’opulence de ces pièces somptueuses. En magnifiant ces objets, le vase de jardin devient progressivement une pièce à part entière, une œuvre digne de l’intérêt des plus grands sculpteurs et des matériaux les plus luxueux.

Vasque en marbre vert, XIXe siècle
Vasque en marbre vert, XIXe siècle

À la demande de Colbert, des vases en bronze et en plomb sont créés pour rythmer le bassin de Neptune et la Salle de bal, des copies de vases antiques sont importées de Rome et sont dispersées dans les jardins de Versailles. Ce sont d’abord trois répliques du vase Médicis et trois du vase Borghèse qui prennent place sur le parterre de Latone. Rapidement, la haute aristocratie suit l’exemple de la royauté dans ses propres jardins et durant les quinze dernières années du XVIIe siècle, le vase se fait pièce d’art en marbre que l’on fait orner de motifs par les plus grands noms de la sculpture. François Girardon (1628 – 1715) sculpte sur de superbes vases le Triomphe de Galatée puis celui d’Amphitrite. Antoine Coysevox (1640 – 1720) et Jean-Baptiste Tuby (1629 – 1700) réalisent respectivement les Vases de la guerre et de la paix.

Paire de vases Médicis en marbre, XIXe siècle
Paire de vases Médicis en marbre, XIXe siècle

Le succès est tel que durant les siècles suivants, des copies de ces vases sont réalisés en marbre, en métal pour les extérieurs et la céramique pour les intérieurs. Ils ornent les jardins d’extérieur et d’hiver des demeures riches et élégantes. D’autant que le néoclassicisme émergeant sous le règne de Louis XVI et s’exprimant tout à fait sous le Consulat et l’Empire se tourne tout entier vers la nature, que l’on apprécie de moins en moins engoncée dans des formes parfaitement maîtrisées mais de plus en plus savamment entretenue pour exprimer un sentiment bucolique et romantique.
Le jardin se fait lieu de surprises avec des bosquets, des kiosques et des lacs et de découverte, on y plante de nouvelles espèces, on cultive dans des serres des essences rares. Les ornements du jardin à la française perdent de leur grandiloquence mais ne disparaissent pas. Ils sont encore un élément qui indique que la nature est toujours maîtrisée par la main de l’Homme.

Urne ou vase en pierre, fin XVIIIe siècle
Urne ou vase en pierre, fin XVIIIe siècle

Vases de jardin en terre cuite : les vases d’Anduze

Ses origines se perdent dans l’histoire et si d’aucuns estiment qu’il doit sa naissance aux potiers italiens, il semble que le vase d’Anduze apparaisse dans la ville éponyme et ses alentours durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Initialement conçu pour faciliter la culture des agrumes, il connaît un succès plus large dès la fin du XVIIIe siècle et remplit depuis une fonction plus générale de vase d’ornement.

Deux vases d'Anduze, collection Seignolle © Drouot
Deux vases d'Anduze, collection Seignolle © Drouot

Au XIXe siècle, les commandes de vases d’Anduze s’étendent à la capitale et il n’est pas jusqu’à Napoléon Ier qui ne s’en fasse livrer pour les jardins de ses palais, ce dont témoigne une commande passée auprès de la famille Boisset, productrice historique et renommée de ce type de vases.
Malgré un matériau et des couleurs caractéristiques de la région provençale, la physionomie du vase d’Anduze ne semble pas avoir échappé au succès des formes imitant le vase Médicis. Ainsi, ce vase provençal est toujours en forme de cloche renversée et pour toute décoration s’orne de guirlandes fleuries et de médaillons qui servent parfois à identifier un atelier ou un potier. Comme un souvenir des faïences polychromes qui ornaient autrefois les jardins de Versailles, les vases d’Anduze sont reconnaissables à leur glaçure jaune, verte ou brune ou présentant ces trois couleurs à la fois. Il incarne aujourd’hui à lui seul l’emblème des jardins méridionaux.

Ornements et mobilier de jardin au XIXe siècle

Au XIXe siècle, le jardin s’installe en ville. Lieu de pouvoir, de plaisir et de sociabilité d’une élite, le parc et le jardin autrefois réservé à la noblesse deviennent les nouveaux ornements des villes où règne désormais en maître la bourgeoisie. À la suite de Joséphine de Beauharnais, le jardin privé est l’objet d’un renouveau et de toutes les attentions.
Ainsi se développe un important marché de copies de vases dans toutes sortes de formes et de matériaux mais où domine le goût versaillais et, surtout, l’indétrônable vase Médicis.

Paire de vases Médicis en fonte, XIXe siècle
Paire de vases Médicis en fonte, XIXe siècle

Les bancs se déclinent à l’envie et on voit renaître dans la seconde moitié du XIXe siècle un goût prononcé pour la rocaille. Ces ornements formant des grottes artificielles avaient connu un fort engouement à la Renaissance et sous l’Ancien Régime. Avec l’industrialisation, la rocaille retrouve un second souffle grâce au développement vers 1850 d’un ciment à prise rapide, le ciment Portland. Grâce à ce nouveau matériau, la rocaille autrefois très onéreuse est désormais à la portée des municipalités et des jardins privés. Les rocailleurs, artisans de peu, modèlent des bancs, du mobilier, des kiosques, des ponts ou des rambardes en faux bois. Et si le ciment est assurément moins noble que le marbre, il n’en demeure pas moins virtuose lorsqu’il prend la forme d’œuvres d’art extrêmement détaillées, tout à la gloire du végétal. Cet art brut populaire revient à nouveau en grâce et embellit aujourd’hui les jardins contemporains.

Pont rocaille
Pont rocaille "faux bois". Buttes Chaumont © Deco à tous les étages

Toujours, les fontaines font l’objet de beaucoup d’attention et animent le jardin autant par leurs jeux d’eaux que par leur clapotis rafraîchissant. Elles se rapprochent peu à peu des terrasses et servent à rafraîchir les fruits ou les verres lors des dîners, dans une mise en scène soignée et élégante. On retrouve ici le goût Renaissance du jardin comme espace de plaisir et de divertissement joyeux, comme l’expression d’un art de vivre plus léger que celui imposé par l’étiquette lors des réceptions à l’intérieur des demeures.

Fontaine d’intérieur, XIXe siècle
Fontaine d’intérieur, XIXe siècle

La popularisation de la lumière au gaz puis de l’électricité vont également entraîner un nouveau rapport au jardin. Grâce à une lumière constante, le jardin privé s’apprécie désormais aussi la nuit. Des réverbères ou lampadaires en fonte, souvent peints en vert pour se camoufler dans la végétation, accompagnent les promeneurs le long des chemins ou au coin d’un banc. Une nouvelle ère s’ouvre pour le jardin.

Réverbères en fonte vert Empire de la Maison Gillet à Castres. Style Napoléon III, fin XIXe - début XXe siècle.
Réverbères en fonte vert Empire de la Maison Gillet à Castres. Style Napoléon III, fin XIXe - début XXe siècle.

Pourtant, des parterres parfaitement dessinés de Versailles aux jardins anglais de l’époque moderne, l’ornement et le mobilier perdurent, se faisant le rappel que le jardin – au contraire de la nature sauvage – demeure intimement lié à l’esthétisation qui plaît tant à l’esprit humain.

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire