Fontaine des tortues ou la puissance des Mattei à Rome

La Fontana delle Tartarughe édifiée en 1582 sur la Piazza Mattei se trouvait alors à proximité du palazzo du même nom dans le quartier juif de Rome, entre le forum et la Via Arenula qui mène au Ponte Garibaldi.
En 1570, les restaurations de l’aqueduc Aqua Virgo – inauguré en 19 av. J.C. et connu pour alimenter la Fontaine de Trevi depuis 1453 – sont enfin terminées. Elles annoncent un second chantier, celuiu des travaux de ramifications souterraines du conduit afin de relier l’antique Champs de Mars aux quartiers les plus peuplés de Rome. Ces nouvelles ramifications s’accompagnent naturellement de la construction de nouvelles fontaines dont une doit être placée sur la Place Juive, aujourd’hui disparue.
L’enjeu politique de ces installations publiques n’est pas anodin et l’importance de la famille Mattei dans la société romaine ne l’est pas non plus. Parmi les plus anciennes familles de Rome, elle s’est notamment illustrée par son talent dans le commerce, contrôlant la circulation des biens sur la rive gauche du Tibre en mobilisant la précieuse main d’œuvre juive à qui elle garantissait, en échange, une solide protection.
Alors, sous la pression des Mattei, la fontaine s’installe finalement sur la place la plus proche de leur palazzo, baptisée piazza Mattei ou Piazza delle Tartarughe, du nom de la fontaine. En échange de cette modification du programme urbain, la famille s’engage à faire paver la dite place ainsi qu’à entretenir la fontaine en la maintenant propre.

La Piazza Mattei à Rome et sa fontaine aux tortues © Roma EveryDay
La Piazza Mattei à Rome et sa fontaine aux tortues © Roma EveryDay

Chef d'œuvre de Giacomo della Porta

La fontaine est réalisée dans les années 1580 suivant un projet de Giacomo della Porta (1533 – 1602). Ce dernier, architecte de l’art maniériste, enthousiaste de l’art baroque est déjà connu et son talent recherché. Il est l’auteur de la coupole de la basilique Saint-Pierre et celui de plusieurs églises qu’il construit ou auxquelles il contribue. Il travaille également à nombre de fontaines romaines parmi les plus célèbres : celle de la Piazza del Popolo, celle de Neptune ou del Moro située Piazza Navona.

Pour la fontaine des tortues, il imagine une bassin comptant huit dauphins imaginés en marbre avant que le bronze ne soit préféré au minéral. Hélas, le montage de la fontaine révèle la pression insuffisante de l’eau qui ne permet pas d’atteindre l’élévation prévue. Il faut renoncer à quatre des huit dauphins. Ceux écartés sont plus tard utilisés pour la fontaine della Terrina autrefois installée sur le Campo dei Fiori et trônant de nos jours sur la Piazza della Chiesa Nuova, mais les dauphins semblent avoir disparu aujourd’hui.

Encore aujourd’hui, la fontaine aux tortues demeure une des plus belles fontaines de Rome. Ce que ne manque pas de célébrer ce superbe objet d’art en argent massif.

Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947

Reproduction fidèle de la fontaine delle tartarughe, cette pièce en argent massif joue de l’usage de l’eau sur la place Mattei pour se faire rince-doigt sur la table. Élevé sur une base carrée, les courbes élégantes du monument baroque reproduisent les quatre coquillages d’angles à la seule différence que les précieuses coquilles, ici en argent massif, sont sur la fontaine romaine en marbre Portasanta.

Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947

Les quatre éphèbes aux corps maniéristes appuient la pointe de leurs pieds sur le rebord de la fontaine et sur le tête de dauphins serpentiformes. D’une main, ils maîtrisent les dauphins par la nageoire, de l’autre ils aident une tortue à se hisser sur la partie supérieure de la fontaine.

L’ensemble esquisse un mouvement spiralé où la ronde formée par les éphèbes s’élève au mouvement des dauphins vers les hauteurs de la fontaine. Giacomo della Porta signe ici un chef d’œuvre baroque dans le plus pur style italien.

Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947

Pourtant, les tortues qui font la célébrité de la fontaine ne sont pas son œuvre. Elles sont un ajout consécutif à la restauration de 1658, ordonnée par le pape Alexandre VII (1599 – 1667), et confiée au Bernin (1598 – 1680). Puisque le projet initial avait retiré quatre dauphins, la fontaine avait cet air bancal d’une œuvre qui n’est pas terminée. Cette impression était essentiellement donnée par les mains levées des éphèbes qui ne touchaient pas le rebord de la fontaine et brouillaient donc la finalité du geste et l’aspect terminé de la fontaine. Alors, l’ajout des quatre tortues vint à combler ces vides et firent par la même occasion sa célébrité.

Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947

Sur la fontaine romaine, quatre cartouches ne manquent pas de rappeler la restauration de 1658. Le texte en latin est rédigé comme suit :

« ALEXANDER VII / RESTAVRAVIT / ORNAVITQVE / YON PONTIFIC IV »

Sur notre objet, l’orfèvre a conservé les cartouches sans toutefois y graver les inscriptions, faute d’espace très certainement.

Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947

La maison d'orfèvrerie romaine Tavani

La dynastie des orfèvres Tavani n’est autre que celle qui fournit la papauté depuis trois générations.
La maison réalise ses premières œuvres destinée au Vatican sous le pontificat de Pie X (1903 – 1914), né Giuseppe Melchiorre Sarto (1835-1903).

Situés en plein cœur de Rome, les ateliers Tavani se voient notamment confier la restauration des portes de bronze de la colonnade de Saint Pierre. Ils sont également les artisans des présents offerts par le Pape à l’occasion de ses déplacements. Ainsi, Aldo Tavani est l’auteur d’un luminaire en argent pour le sanctuaire de la nativité de Nazareth, de la rose d’or et son rosaire pour le sanctuaire de Notre-Dame de Fátima au Portugal et de celle de Notre Dame del Cobre (Cuba).

Notre fontaine rince-doigt en argent est également l’œuvre de cette éminente dynastie d’artisans et démontre, s’il le fallait encore, la maestria de ces orfèvres de renom. Cette pièce a été vendue dans notre boutique bordelaise en 2018.

Détail de la fontaine aux tortues à Rome.
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Rince-doigt en argent massif. Maison Tavani, Rome, 1947
Détail de la fontaine aux tortues à Rome © Le Strade

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire