Pupitres et lutrins : de l'église aux salons de musique

Parfois être désigné comme étant un lutrin, on préfèrera ici le terme de pupitre. Bien sûr, les deux objets permettent la lecture des livres sacrés mais dans les églises où le pupitre est ordinairement mobile, le lutrin est presque toujours fixe et placé au milieu du chœur.

Ainsi, le pupitre est destiné à la lecture de l’épitre et à celle de l’évangile tandis que le lutrin est réservé à la lecture des livres de chœur. 

Pour ne pas fatiguer le lecteur, un grand chandelier est souvent placé à côté du pupitre et permet d’éclairer le texte. Cette disposition particulière encouragea l’emploi de matières reflétant la lumière – comme ici le bronze doré -dans la conception de ces supports, mettant ainsi en valeur le livre qu’ils soutenaient. 

Les premiers pupitres (tout comme les premiers lutrins) apparaissent semble-t-il en France au VIIe siècle. D’abord en bois, en bronze ou en cuivre doré, ils sont souvent très ornés mais tombent dans l’oubli durant plusieurs siècles avant que l’engouement pour les objets liturgiques ne renaisse au XIXe siècle.

Cet engouement suit la valorisation du patrimoine national engagé par Prosper Mérimée (1803 – 1870) durant la première moitié du XIXe siècle. Son amitié de longue date avec l’impératrice Eugénie (1826 – 1920) offre un écho à son travail dans les hautes sphères sociales et c’est ainsi que les particuliers se tournent vers les meubles et objets anciens, remontant leur côte aux yeux de tous tout en les détournant de leur fonction première. Ainsi, vit-on pupitres et lutrins être utilisés quotidiennement comme support pour partition de musique.

Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle
Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle

Les pupitres de la seconde moitié du XIXe siècle présentent régulièrement une jolie dentelle de bronze dorée assortie d’émaux peints et de cabochons de verre  Les motifs de feuilles d’acanthe et de chapelets de perles sont fréquents. Cette décoration riche et colorée renvoie directement au style gothique à une époque où l’éclectisme est une esthétique particulièrement appréciée.

Les personnages saints figurent en bonne place ; le XIXe siècle ne sera pas avare de figures pieuses ou martyrs et le renouveau du culte passera par des figures antiques, médiévales ou contemporaines à l’iconographie rapidement abondante. Pensons à Blandine, Jeanne d’Arc ou Bernadette Soubirou.

Ici nous reconnaissons les évangélistes : Luc et son taureau, Mathieu et un ange, Jean et l’aigle ainsi que Marc et le lion. Au centre, Jésus-Christ et le Sacré-Cœur, symbole de l’amour divin par lequel le fils de Dieu prit forme humaine et donna sa vie pour les hommes.

Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle
Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle

Le renouveau des objets religieux

Longtemps déconsidérés, ces objets du XIXe siècle que l’on nommait avec mépris « saint-sulpiciens » sont aujourd’hui redécouverts à l’aune d’une revalorisation de ce siècle qui connut aussi bien l’Empire que la Révolution industrielle.

La création de ces objets d’art religieux est en effet loin d’être dénuée d’une réelle démarche esthétique. Les études portant sur ces créations tendent à confirmer l’existence d’une véritable recherche artistique étroitement liée à l’histoire religieuse. Rappelons qu’au sortir de la Révolution, l’Église catholique se trouve en difficulté et se reconstruit lentement et difficilement, ce qui ne l’empêchera pas de lutter vers la fin de siècle contre une affaiblissement notable du sentiment religieux.

Son combat s’incarne ainsi dans l’image – et les images – qu’elle souhaite véhiculer auprès de ses fidèles et surtout auprès de ceux qui se sont écartés de l’Église. Pour cela, les arts décoratifs sont essentiels.

Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle
Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle

Parallèlement au travail de Prosper Mérimée en faveur de la valorisation et de la sensibilisation au patrimoine national, l’art chrétien retrouve ses lettres de noblesse en s’appuyant sur l’admiration des élites bourgeoises et aristocratiques pour les styles anciens, en particulier pour l’art gothique.

Les objets d’art religieux dans le style gothique sont alors produits dans le quartier de Saint-Sulpice – d’où leur surnom de Saint-sulpiciens.

Cette production permet de remplacer ou de pallier au manque de mobilier et d’objets liturgiques dans les églises. Le retour au style médiéval des XIIe et XIIIe siècles signe également – du moins l’espère-t-on – le retour à une pureté originelle, à une Église unie et rassemblée autour du Pape. Le primitivisme du néogothique traduit l’ambition de l’Église de panser les déchirures religieuses, nationales, politiques et sociales du XIXe siècle. Vaste programme. 

Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle
Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle

Les objets saint-sulpiciens du XIXe siècle

Cet attrait soudain et la démocratisation du goût néogothique grâce à une production de grande ampleur profita d’un nouveau venu dans le quotidien : le catalogue.

Déjà au XIXe siècle, le catalogue (qui ne diffère presque en rien de celui que nous connaissons aujourd’hui) présentait par catégories d’usage les différents objets et mobiliers. Il permettait également à l’acheteur potentiel de choisir parmi différentes qualités de finitions et de matériaux, différents styles (style roman, style gothique ou bien Renaissance).

Cette nouvelle manière d’acquérir des objets d’art profita notamment à Auguste Napoléon Didron (1806 – 1867), archéologue français mais aussi journaliste, éditeur et spécialiste de l’iconographie du Moyen Âge chrétien qui comprit rapidement l’intérêt de proposer aux fabriques et au clergé des modèles conformes aux exigences archéologiques à des prix rendus abordables grâce aux techniques de l’industrie. 

Face à une demande massive d’objets liturgiques dans des matières, styles et qualités différentes, Didron initia une création artistique très respectueuse et fidèle à ses modèles, une attention qui fut naturellement appréciée du clergé et des classes bourgeoises et aristocratiques très friandes de style néogothique.

À la suite de Didron, de nombreuses manufactures d’art chrétien apparurent  et ce dans tous les domaines des arts sacrés. On recense ainsi 250 catalogues de mobilier et d’objets d’art religieux publiés au cours du XIXe siècle et au début du XXe.

Notre pupitre est sans aucun doute un objet qu’aurait apprécié, sinon dessiné Auguste Napoléon Didron. Véritable création artistique du XIXe siècle, il est entièrement imprégné de ce goût néogothique inspiré par les travaux de Mérimée : les cabochons à la manière des pierres précieuses des châsses religieuses captent la lumière et dirigent le regard vers les médaillons d’émaux peints illustrant les personnages fondateurs du culte chrétien. Ce « retour aux sources » élégant puise dans de nobles matériaux sans avoir la prétention des objets liturgiques trop précieux et trop ostentatoires du XVIIIe siècle. Et c’est précisément ce que recherche le clergé : la profusion économe capable de préserver l’impression luxueuse qui convient à la célébration de Dieu.

Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle
Lutrin ou pupitre d'église en bronze doré, XIXe siècle

« De la définition savante des types archéologiques et esthétiques les plus purs à la production industrielle en passant par les étapes de l’expérimentation coûteuse et du luxe, le néogothique connu les grandeurs et les misères du rêve pour tous » conclut Jean-Michel Leniaud dans un article très complet sur l’art néogothique.

Aujourd’hui, le nouvel attrait pour ce style est avant tout orienté vers les pièces de qualité, souvent les seules parfaitement conservées grâce à des matériaux haut de gamme et des techniques de fabrication soignées. 

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire