Reflets des centres d’intérêt d’une époque, de l’avancée des techniques et des sciences, les objets de curiosité ou de vitrines incarnent l’émerveillement des Hommes face au monde qui les entoure.
Qu’est-ce qu’un objet de curiosité ?
Ce qui est rare est précieux. À ce titre, les objets de curiosité se distinguent d’abord par ces deux qualités. C’est bien le caractère inhabituel de l’objet qui fascine, bien avant la préciosité du matériau, la dextérité de l’artisan ou la fantaisie de la nature.
Ainsi, on comprend dans cette vaste catégorie les objets d’art, les spécimens naturels, les pièces scientifiques ou ethnographiques, voire les artefacts historiques. L’objet de curiosité doit susciter l’étonnement et l’admiration, sans quoi il ne mérite pas ce titre.
C’est aussi ce statut, à part des collections d’art ordinaires, qui place les objets de curiosité dans des cabinets qui leur sont spécifiquement dédiés. Qu’il s’agisse d’un meuble ou d’une pièce (le studiolo italien est en ce sens emblématique), les objets de curiosité s’extirpent toujours du lot pour offrir aux yeux des spectateurs leurs singularités exceptionnelles.
Ainsi en est-il des minéraux étranges, des fossiles, des instruments scientifiques anciens, des artefacts exotiques ou encore des œuvres d’art atypiques. Le collectionneur de curiosités cherche avant tout à rassembler des pièces uniques qui racontent une histoire, histoire qu’il a lui-même construite, histoire particulière ou plus générale sur l’évolution du monde et des hommes. Ces histoires soulèvent des interrogations, des points d’ombre qui sont ce qui attisent le plus l’intérêt du collectionneur. Originellement, un objet de curiosité est tel car il a sa part de mystère, il ne dit pas tout ce qu’il est et ne révèle pas tous ses secrets.
Les origines des objets de curiosité : les cabinets de curiosités
La Renaissance est assurément la grande époque de l’objet de curiosité. La période est alors à la redécouverte des sciences, au perfectionnement des techniques, à l’exploration du monde, à l’élévation de la pensée. L’objet de curiosité devient cet emblème du savoir qu’il faut encore creuser, des énigmes du monde qui restent à élucider. La Renaissance définit et fait de l’objet de curiosité ce qu’il est encore aujourd’hui : un intérêt d’esthète, une collection d’érudit ou de savant, la preuve évidente d’une hauteur d’esprit. Intellectuels et aristocrates commencent à réunir des collections privées baptisées cabinets de curiosités. Ces cabinets servent à exposer des objets rares et extraordinaires, issus de disciplines variées : histoire naturelle, ethnographie, archéologie et arts.
Parmi les plus fameux collectionneurs, les Médicis sont incontournables. Ils rassemblent en Toscane des objets exotiques venus des quatre coins du monde. En France, des personnages comme Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580 – 1637) ou Pierre Borel (1620 – 1671) constituent des vitrines où se mêlent antiquités, fossiles et instruments scientifiques. Ces vitrines sont aussi bien faites pour protéger les collections que pour flatter l’égo de leur propriétaire. Il n’y a alors rien de tel pour impressionner son prochain et décliner à l’envie les horizons semblant infinis d’une érudition touchant à tous les domaines du monde.
Une sélection universelle
Le XVIe siècle hérite de la première Renaissance et naît au lendemain de la découverte du Nouveau Monde. Les expéditions maritimes se multiplient, les territoires à découvrir semblent alors infinis et pour preuve de leur existence, les explorateurs rapportent à leurs riches protecteurs des objets de cultures lointaines.
Crânes de créatures marines inconnues, statuettes africaines ou asiatiques, coquillages gigantesques, tableaux de plumes chatoyantes et étoffes tissées de végétaux viennent enrichir les collections européennes, éveillant une fascination pour l’exotisme et l’étrange qui ne cessent pas pendant près de deux siècles.
Les cabinets de curiosités deviennent musées
Au XVIIIe siècle, l’Occident possède désormais une excellente connaissance du monde. Il occupe et navigue sur une bonne partie du globe, les flux économiques permettent des échanges soutenus avec tous les continents et s’accélèrent à mesure que l’industrialisation s’impose. Parallèlement, le mystère qui auréolait nombre d’objets de curiosité a été levé. Désormais, les Lumières catégorisent le monde et la nature au regard des différentes disciplines scientifiques et les anciennes collections de curiosités servent davantage à l’étude puis à l’éducation du public. C’est à cette époque que sont fondés des institutions comme le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris ou le British Museum à Londres.
Les collectionneurs particuliers demeurent à l’affût des pièces exceptionnelles dont on admire toujours la bizarrerie ou la rareté, sans n’être (presque) plus impressionné par leur nature même. Ainsi, les vitrines s’allègent et à l’accumulation des collections succède un ordre clair, un agencement aéré et lisible en faveur, toujours, d’une meilleure compréhension du monde.
Cette évolution marque l’apparition des objets de vitrine, des pièces choisies pour leur esthétique ou leur intérêt historique, et qui sont exposées avec soin pour le plaisir des amateurs d’art et d’exquises raretés.
Les objets de curiosité aujourd’hui : un marché prisé
Aujourd’hui, le succès des objets de curiosité ne s’est pas démenti. Souvent une porte d’entrée vers un marché de l’art qui peut impressionner, les objets de curiosité séduisent tous les publics justement par leur diversité. Alors que la peinture, la sculpture, le mobilier ou les objets d’art décoratifs renvoient à l’image élitiste (et fausse) du collectionneur, les objets de curiosité se présentent pour ce qu’ils sont, immédiatement accessibles par leur identification immédiate. Cette inversion de valeur est autant une ironie qu’un paradoxe comparée à la période Renaissance, mais elle prouve que l’intérêt pour ces objets est bien à chercher dans ce qu’ils sont par nature. La signature dans leur cas compte moins que la curieuse virtuosité de l’ensemble.
Quant aux objets de vitrine, ils séduisent toujours plus les amateurs de décoration et d’histoire. Galeries et antiquaires proposent ainsi des collections sélectionnées avec soin, où se côtoient sculptures anciennes, spécimens minéralogiques et objets insolites.
Dans notre société où l’uniformisation est omniprésente, où la globalisation du goût semble toute écraser sur son passage, il est rafraîchissant et révélateur de constater que les objets de curiosité forment une poche de résistance. Portant haut l’unicité et le savoir spécifique ou érudit, ils forment de petits musées personnels et font le portrait chinois de leur propriétaire. En suscitant l’émerveillement, en réunissant les sciences, les arts et les mystères de la nature, les objets de curiosité sont un royaume délicieux pour les grands enfants, ceux qui se souviennent de la magie quotidienne qu’ils avaient à découvrir le monde.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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