Presque toujours aussi hauts que larges, ces meubles sont une spécificité des Flandres, des Pays-Bas et plus généralement des pays du nord. Qu’ils soient en chêne pour les plus communs et enrichis de matériaux précieux pour les plus riches, ces buffets tiennent leur nom du verbe ranger en néerlandais. Déclinaisons du mobilier d’apparat médiéval, ils sont fréquents au XVIIe dans les maisons bourgeoises. Cette typologie de deux corps est régulièrement agrémentée de deux tiroirs ou d’un dormant séparant deux larges vantaux. La corniche est plus ou moins proéminente et les pieds sont sphériques et aplatis.
Une opulente Renaissance
Si le vocabulaire décoratif de ces meubles ne répond pas directement à la situation géopolitique de cette région septentrionale au XVIIe siècle, il en est un écho suffisamment étonnant pour ne pas déceler dans ce mobilier une heureuse concordance des temps.
C’est en 1581 que naissent véritablement les Provinces-Unies, enfin émancipées de la pesante tutelle de l’empire des Habsbourg. En ce début de XVIIe siècle, ce nouveau territoire indépendant entre dans un Siècle d’Or et avec lui, Amsterdam prend une envergure sans précédent, devenant la ville la plus riche du monde grâce au commerce maritime.
La compagnie néerlandaises des Indes orientales créée en 1602 développe un réseau maritime mondial, crée des comptoirs et des liens commerciaux avec des pays orientaux, ainsi les marchandises circulent et sont redistribuées depuis les Provinces-Unies vers les différents pays d’Europe. La bourgeoisie marchande tient l’économie, la prospérité du pays est partout reconnue. Reflet indispensable de ce succès, l’acquisition d’œuvres d’art, de mobilier ou d’objets d’arts décoratifs devient une préoccupation des marchands, enrichis par ce commerce lucratif et florissant qui fait leur fortune personnelle et celle des Provinces. Artistes et artisans sont très sollicités. Cette effervescence stimule l’art pour se faire le contexte idéal à l’émergence de talents d’envergure tel le peintre Rembrandt.
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Les intérieurs de l’élite bourgeoise ne sont pas les seuls à bénéficier de ce rayonnement. Les maisons des classes plus modestes sont également pourvues de commodités alors inconnues ailleurs en Europe, ce dont témoignent les inventaires après décès.
Malgré cet appétit pour l’innovation, dans tous les domaines, l’influence du goût italien et français ne diminuent pas. L’idée qu’on se fait du beau et du prestige passe immanquablement par les motifs Renaissance qui sont encore l’inspiration majeure de cette période.
Les livres de modèles utilisés par les ébénistes, menuisiers et artisans ne manquent pas de gravures étoffant ce style de mille déclinaisons de manière à ce que chaque commanditaire trouve son bonheur. C’est surtout l’ouverture commerciale sur le monde et la nouvelle opportunité d’accéder à des matériaux plus rares que le chêne qui va véritablement modifier l’allure du mobilier.
Entre renaissance d’un territoire et Renaissance artistique, il est difficile de ne pas faire le lien – sans doute un peu facile – et de remarquer ce parallèle imprégner les ribbanks et les motifs qui les rythment. Pourtant, les deux participent à la formation d’une identité unique et toujours très recherchée par les collectionneurs.
Mobilier de transition
Le ribbank est massif, solide et occupe largement l’espace comme le faisaient avant lui le coffre médiéval et le mobilier d’apparat. Pièce majeure d’un intérieur, il est présenté dans les salles de réception et les comptoirs. Il est d’usage d’y ranger des étoffes ou des objets précieux. Il faut qu’il soit en chêne et ce dans toutes les régions, de Lille à Amsterdam, où ce meuble devient un incontournable au XVIIe siècle.
Les motifs sont quant à eux plus délicats et leur profusion adoucit la carrure imposante du meuble. Ce sont des figures à l’antique drapées, des putti aux visages ronds, des gueules de lion, des motifs comme des cornes d’abondance déversant des fleurs et des fruits venues des quatre coins du monde. S’y mêlent parfois des personnages vêtus à la mode de l’époque, des indices quant à la profession des propriétaires. C’est tout un discours qui témoigne d’une époque à la culture florissante, des us et coutumes et surtout de la richesse qui fait la célébrité des Provinces-Unies.
Matériaux de luxe
Les ribbanks les plus raffinés présentent souvent des tableaux en relief animant les vantaux et parfois même les côtés du meuble. Ces choix d’ébénisterie permettent de mettre littéralement en lumière les matériaux luxueux qui y sont marquetés. Fonds d’écailles de tortue, bois exotiques et précieux ou baguettes torses d’ébène ou de bois noirci sont portés à l’avant du meuble pour se détacher du fond de chêne qui se fait littéralement cadre.
L’accent est ainsi mis sur les reflets fauves chatoyants de l’écaille et des bois précieux, sur la profondeur veloutée de l’ébène. C’est aussi bien une manière de valoriser le propriétaire capable d’acquérir ces matériaux et une façon de faire du meuble lui-même un cabinet de curiosité. Dans cette région dont nombre de ressortissants parcourent le globe et découvrent les merveilles qu’il recèle, les ribbanks sont un moyen de s’accaparer un peu de ces nouveaux horizons.
Par ailleurs, les intérieurs sombres éclairés de la lumière du nord et de celle des bougies devaient s’animer à la faveur des ombres et lumières qui couraient et animaient les surfaces.
Emblème fastueux d’une époque unique, le ribbank est un incontournable des intérieurs de qualité. De la même façon qu’il se mettait au diapason des matériaux et des objets venus du bout du monde qui l’habitaient ou l’entouraient au XVIIe siècle, il s’accorde aujourd’hui avec une étonnante souplesse à des environnements contemporains.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
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