Deux fois par an, à l’aube du printemps et en plein cœur de l’automne, l’Île des Impressionnistes à Chatou, dans les Yvelines, accueille plus de 300 exposants venus des quatre coins de la France et des milliers de passionnés, arpentant chaque stands à la recherche d’un trésor qu’ils ne pensaient plus trouver.Pilotée par la SNCAO – GA (Syndicat professionnel du marché de l’Antiquité), la foire est reconnue pour le sérieux de ses professionnels et la qualité du mobilier et des objets d’arts qui y sont présentés. Elle est aussi très appréciée pour son ambiance gouailleuse, bon enfant où l’on apprécie aussi bien la valeur d’une belle commode que celle d’un bon vin ou d’un jambon, et pour cause !

La Foire aux Lards, les origines médiévales de la Foire de Chatou

Avec le nouvel essor économique du XIe siècle et la renaissance des villes à la même époque, les artisanats et le commerce se développent et prospèrent. Les métiers s’organisent et se rassemblent par quartier. Pour vendre les marchandises, les foires et les marchés s’implantent et rythment le calendrier. La foire de Saint-Denis, dite foire du Lendit, est l’une des plus célèbres. Créée par Dagobert, elle se tient à Paris du premier mercredi de juin à la Saint-Jean. D’autres voient le jour sans que l’on puisse toujours déterminer précisément quand.

Ainsi, s’installe  bientôt sur le parvis de Notre-Dame, et ce une fois l’an, la Foire aux Lards, précédant la Semaine Sainte (qui précède elle-même Pâques et la dernière partie du Carême). À cette occasion, ce sont des charcutiers venus de France et de Navarre qui se réunissent pour vendre des viandes préparées aux pieux fidèles se rendant aux offices religieux. Le succès est au rendez-vous et attire de plus en plus de charcutiers qui, non contents de faire des affaires ne manquent pas de prévoir une réserve si jamais la demande s’avérait plus importante que l’offre. Il y a bientôt autant de marchands harangueurs et de clients gastronomes qu’il y a de porcs gyrovagues. Le résultat de ce grand rassemblement va donc avec un barouf saisonnier causés par les marchands et par leurs porcs. Il faut sévir. Alors, en 1451 sont instituées de strictes réglementations visant à vérifier la qualité des viandes, mortes ou vivantes, ce qui permet déjà d’éclaircir les rangs des marchands. La foire est déplacée, plusieurs fois, car les nuisances se déplacent avec elle. Enfin, on l’installe à Chatou où elle était vouée à demeurer.

Révolution : de la ferraille et du saucisson

Bien enracinée dans l’histoire parisienne et charcutière, la Foire de Chatou n’avait aucunement l’intention de disparaître, et ce n’était pas la Révolution française qui allait en décider autrement. Il fallut bien sûr consentir à suspendre l’évènement quelques temps. Mais avec la naissance du Premier Napoléon, vint aussi la renaissance des salaisons.

En 1804, la Foire aux Lards devient Foire aux Jambons et réinvestit le centre de Paris. D’abord installée quai de la Vallée, puis rue du Faubourg Saint-Martin et enfin boulevard Bourdon, elle attire ainsi à elle de nouveaux commerçants. Aux charcutiers s’ajoutent quelques chiffonniers et autres ferrailleurs. Un bric-à-brac réjouissant mêle les bons vivants aux bonnes affaires et on commence à parler de Foire à la Ferraille.

En 1869, un arrêté de police transfère ce marché boulevard Richard-Lenoir, où il demeure près d’un siècle. Cela n’affaiblit pas la Foire, bien au contraire. Elle devient un rendez-vous incontournable des chineurs, des amateurs et connaisseurs à l’affût d’un trésor. La recette hétéroclite qui a fait son succès se maintient et l’on trouve au gré des stands des objets d’antiquités, des curiosités, de la brocante et toujours des salaisons.

La Foire à la Ferraille et au Jambon du boulevard Richard-Lenoir. Un stand de boucherie hippophagique © Foire de Chatou
La Foire à la Ferraille et au Jambon du boulevard Richard-Lenoir. Un stand de boucherie hippophagique © Foire de Chatou

Foire aux Jambons et à la Ferraille : le retour à Chatou

En 1970, la Foire quitte Paris et retrouve Chatou. Cette fois, elle n’est pas chassée par les désagréments dont elle est la cause, elle part de son plein gré. Face à son succès, elle a besoin de plus d’espace pour loger ses commerçants et le boulevard Richard-Lenoir ne suffit plus. Déjà aux manettes le SNCAO compte bien préserver l’essence de cet évènement plusieurs fois centenaire, alors que la municipalité, trop heureuse de voir revenir à elle cette foire qui a si longtemps marqué son histoire, lui offre de s’installer sur l’Île des Impressionnistes. Ainsi est posé le célèbre cadre pittoresque et spacieux qui fait le ravissement des exposants et des visiteurs.

La Foire de Chatou dans les années 1970 © Foire de Chatou
La Foire de Chatou dans les années 1970 © Foire de Chatou

La recette du succès

Depuis lors, la Foire de Chatou s’est imposée comme la plus grande foire à la brocante et aux antiquités de France. La première journée est toujours réservée aux marchands, mais l’impatience des particuliers est telle qu’il n’est pas rare d’en voir quelques-uns se faufiler pour être les premiers à découvrir les merveilles des antiquaires et brocanteurs présents !

Place forte du marché de l’ancien, la Foire de Chatou est également devenue un tremplin solide pour de jeunes galeries qui y font leurs armes et bénéficient de la visibilité de l’évènement.

Quant aux visiteurs ponctuels, ils deviennent rapidement des habitués, heureux de déambuler parmi les stands et de partager un bon repas fait de spécialités charcutières, perpétuant ainsi une tradition séculaire. C’est tout cela qui a fait l’identité de la Foire de Chatou et qui signe aujourd’hui l’essence même de ce rendez-vous : antiquités et convivialité !

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog L’Art de l’Objet