Une fois réunies en un seul lieu les manufactures parisiennes autrefois dispersées, Colbert place Charles Le Brun à la tête des Gobelins. Le premier peintre du roi y instille un âge d’or d’une trentaine d’années, éveillant l’envie aussi bien en France qu’à l’étranger. Le Brun fournit lui-même les nouveaux cartons de tentures dont les tissages s’enchaînent à un rythme effréné, aussi bien sur haute que sur basse lice. Ce sont ainsi 775 pièces qui sortent de la manufacture dont 545 sont rehaussées de fils d’or. Les chefs d’œuvre se succèdent, les tentures des Muses, des Éléments, des Saisons ou L’Histoire d’Alexandre suscitent l’admiration et toutes sont à la gloire du roi. Hélas, cette vitalité créative soumise au pouvoir royal ne tarde pas à l’être aussi aux peintres ; les liciers gardent encore une certaine liberté sur le choix des couleurs et la transcription des détails du carton sur le métier, mais le XVIIIe ne sera pas aussi permissif.
Manufacture de prestige au XVIIIe siècle
Pour pallier ce désagrément, le coloris des tapisseries est haussé et le résultat jugé désastreux par Coypel qui critique en 1737 aussi bien la vulgarité des couleurs que la médiocrité du dessin. On lui demande son aide pour éviter le délitement de la manufacture et sa reprise en main permet d’éviter le pire. Mais la fin du siècle interroge un art qu’on veut identique à la peinture pour un coût bien plus élevé. Après la Révolution, fatale à nombre de tapisseries, les Gobelins traversent sans éclat le XIXe siècle. La basse lice est définitivement abandonnée en 1826 tandis que les découvertes chromatiques d’Eugène Chevreul simplifient la tâche des liciers. La production devient monotone si bien que la nomination du conservateur Alfred Darcel en 1871 puis celle de Jules Guiffrey en 1893 à la tête de la manufacture insufflent un renouveau inespéré.
Vivifiante modernité
Enfin, la singularité de la tapisserie est reconnue. La copie de tableaux est peu à peu délaissée au profit de cartons d’artistes modernes comme Moreau, Chéret ou Boutet de Montvel dont la manière correspond justement à l’essence de la tapisserie. On prône la simplification du modelé et de la palette, la mise en valeur du décoratif et du monumental jusqu’à ce que l’Exposition internationale de 1925 sacre la tapisserie et restaure sa fonction médiévale de cloison mobile. Bousculés par cette conception consciencieusement niée pendant plus de deux siècles, les Gobelins doivent s’adapter à un luxe éloigné des grands décors auxquels ils sont habitués. Les créations de Jean Dunand ou Paul Véra participent en ce sens de l’intérêt renouvelé pour la tapisserie comme un indispensable de l’intérieur moderne.
En 1936, le talentueux Jean Lurçat confie aux Gobelins sa première tapisserie, Les illusions d’Icare qui se révèlent tout aussi illusoires pour la manufacture parisienne dont Lurçat se détourne pour préférer celles d’Aubusson. Un an plus tard, les Gobelins sont rattachés au Mobilier National mais c’est après guerre que la nouvelle création tissée s’éveille et attire les artistes contemporains. Le long exercice de transcription de leur écriture dans des tissages d’excellence réunit aujourd’hui encore tradition et création contemporaine. En se l’appropriant, ces artistes soulignent la vitalité et la pérennité de cet art, toujours signé depuis 1889 du monogramme G traversé d’une broche à tisser.
Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire
L'auteur, pour la Maison Pipat :
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».
Autres ressources et documentations
16 décembre 2024
Le mobilier scandinave
Régulièrement, le mobilier scandinave revient sur le devant de la scène. Preuve que depuis son âge d’or au XXe siècle, il a su se faire une place de choix dans l’histoire de l’art…
18 novembre 2024
Un triton en bronze d’après les sculptures de François Girardon (1628 – 1715) à Versailles
Cet élément de fontaine est d’autant plus admirable qu’il est sculpté d’après les chefs d’œuvre du Bassin de la Pyramide, sur le parterre de l’Aile du nord du jardin de…
21 octobre 2024
Étagère bibliothèque Tyco, par Manfredo Massironi, pour Nikol International
Pure création des recherches de l’art optique dans les années 1960, l’étagère bibliothèque Tyco imaginée par Manfredo Massironi invite le spectateur à animer quotidiennement…
20 septembre 2024
La peinture de paysages
Au XX siècle, les immenses paquebots reliant le Vieux continent et le Nouveau monde ont été les ambassadeurs des goûts et des innovations des deux côtés de l’Atlantique.
3 août 2024
Le Style Paquebot
Au XX siècle, les immenses paquebots reliant le Vieux continent et le Nouveau monde ont été les ambassadeurs des goûts et des innovations des deux côtés de l’Atlantique.
15 juillet 2024
Un coffret coquille d’époque XVIIIe siècle
De la Régence à la mort de Louis XV, l’art de la coquille est au centre de toutes les attentions.