Prononcez net-ské (le u – comme pour Hokusai – est ici muet), ces petites sculptures étonnantes, délicates et souvent drôles sont l’objet d’une attention toute particulière chez les amateurs d’art japonais. L’érudit en sait les moindres symbolismes, les différents matériaux et parfois même les plus écoles régionales les plus confidentielles. La richesse des netsuke est un monde en soi et leur étude peut occuper une vie ; contentons-nous ici d’une introduction qui simplifiera la votre.

L’origine des netsuke

L’étymologie du mot laisse entrevoir ses origines modestes et discrètes car le netsuke n’est originellement rien d’autre qu’une attache faite d’une racine : « ne » racine, « tsuke » attacher. Le développement de cet objet de peu n’augurait donc pas d’un futur aussi resplendissant que celui qu’on lui connait. Le netsuke est d’abord employé en Chine où il n’est, au XVIe siècle, un morceau de bambou ou de racine, parfois un coquillage. Puis il parvient au Japon au XVIIe siècle. Ces petits objets qu’on ne tarde pas à sculpter sont d’indispensables accessoires à la ceinture obi du kimono. Bien sûr, l’habitude veut alors – pour les femmes surtout – que l’on transporte les menus objets quotidiens dans les manches de son kimono. Mais les manches n’y suffisant plus – ou l’esthétique en pâtissant – on se résout finalement à suspendre de petits étuis à sa ceinture. 

Boîte à sceaux ou à médicaments (inrô), nécessaire à écriture (yatate) et à fumer et même l’étui à pipe (kiseruzutsu) étaient alors généralement désignés comme des sagemono, littéralement des objets suspendus. Il fallait retenir ces derniers par une cordelette, elle-même habilement nouée à la ceinture et le noeud disgracieux dissimulé derrière le netsuke. 

Netsuke en bois figurant un acrobate. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912). © MET Museum
Netsuke en bois figurant un acrobate. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912). © MET Museum
Netsuke en bois figurant un acrobate. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912). © MET Museum
Netsuke en bois figurant un acrobate. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912). © MET Museum

C’est une caractéristique essentielle qui permet à n’importe qui de déterminer s’il est face ou non à un netsuke. Remarquez-vous deux trous (himotōshi) permettant de passer la cordelette du sagemono ? Sont-ils assez large pour y faire glisser une lanière ? Permettent-ils de positionner correctement le netsuke à la ceinture ? La patine est-elle plus prononcée sur l’avers que sur l’envers ? Toutes ces questions permettent de reconnaître un netsuke dont on a fait usage. Si pourtant le himotōshi ne semble pas plus fonctionnel que la patine est uniforme alors peut-être s’agit-il d’un netsuke destiné à satisfaire l’engouement des Occidentaux pour cet forme d’art nippon. Et cela ne retire (presque) rien à sa valeur !

L’engouement occidental pour les netsuke au XIXe siècle

Lorsqu’en 1854, les ports japonais ouvrent finalement leurs portes au commerce avec l’étranger, les Occidentaux découvrent émerveillés une culture mystérieuse, bien éloignée de tout ce qu’ils connaissent alors. L’inverse n’est pas moins vrai ! Et l’introduction du costume occidental dans la société japonaise fut sans doute l’un des bouleversements les plus rapides et visibles. Tandis que le kimono se retire dans les limites de la sphère privée, la demande en netsuke ne pâtit pas de ce soudain désintérêt car, parallèlement, la demande ne cesse de croître pour satisfaire ces voyageurs occidentaux tels que les frères Goncourt, Pierre Loti ou encore Émile Guimet. Ces derniers s’émerveillent de ces petits objets raffinés, parfaits souvenirs de ce Japon fascinant. Une fois revenus en Europe, les voyageurs attisent encore davantage la curiosité de leurs compatriotes. L’engouement pour le japonisme s’exprime d’abord lors de l’Exposition universelle de 1867, fameuse exposition au cours de laquelle les visiteurs découvrent le mobilier, les estampes et les objets d’art japonais. Le succès est tel que la section japonaise est reconduite lors de l’Exposition universelle de 1878 lors de laquelle sont exposées les célèbres estampes du graveur Hokusaï (1760 – 1849). 

Netsuke en ivoire figurant une pieuvre. Japon, XIXe siècle. © MET Museum
Netsuke en ivoire figurant une pieuvre. Japon, XIXe siècle. © MET Museum

Paris ne jure plus que par le Japon : dans les salons les plus en vus, on meuble de créations laquées ou signées Gabriel Viardot, sur lesquels sont exposés des bronzes et des sculptures. Chez l’unique Clémence d’Ennery (1823 – 1898), ce sont plus de 300 netsuke qu’on admire, tous achetés au Bon Marché ou chez des antiquaires. De l’autre côté du globe, dans l’archipel nippon, les artisans spécialisés, les netsuke-shi peaufinent une production dont la variété prête naturellement à la collection.

Formes et matières : la diversité des netsuke

On peut aisément distinguer quelques catégories de formes de netsuke. Dans chacune de ces catégories, il y aura presque autant de diversité de styles qu’il y aura de netsuke-shi – dont on compte aujourd’hui près de 1200 noms, XVIIIe, XIXe et première moitié du XXe siècle confondus. Bien sûr, il existe de grands noms très recherchés mais les créations anonymes ou de petits maîtres ne sont pas moins intéressantes.

Les katabori sont les plus connus. Ils sont sculptés en ronde-bosse et représentent de manière réaliste des animaux ou des personnages, parfois même de simples objets car l’influence shintoïste soutient qu’aucun être vivant, élément ou objet n’est dépourvu d’âme. Tout est digne d’intérêt.

Netsuke en bois d'un masque de renard à mâchoire articulée. Japon, période Edo (1615–1868) © MET Museum
Netsuke en bois d'un masque de renard à mâchoire articulée. Japon, période Edo (1615–1868) © MET Museum

Les kagamibuta sont ronds et enserrent une plaque d’une matière différente à la couronne, souvent en ivoire.

Netsuke kagamibuta en ivoire et métal figurant un crabe sur une feuille de lotus. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke kagamibuta en ivoire et métal figurant un crabe sur une feuille de lotus. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Revers d'un netsuke kagamibuta en ivoire et métal figurant un crabe sur une feuille de lotus. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Revers d'un netsuke kagamibuta en ivoire et métal figurant un crabe sur une feuille de lotus. Japon, ère Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum

Les manju sont baptisés du nom d’un célèbre gâteau éponyme. Ils sont comme les kagamibuta rond et aplatis mais d’une seule pièce et sont seulement gravés, peint ou sculptés en bas-relief.

Netsuke manju en ivoire. Japon, XVIIIe siècle. © MET Museum
Netsuke manju en ivoire. Japon, XVIIIe siècle. © MET Museum

Les ryūsa sont ronds ou ovales mais sculptés en haut relief ou ajourés. Dans le cas de ces netsuke, le himotōshi est inutile puisque le lanière peut-être passée par les motifs évidés, généralement des oiseaux ou des fleurs. 

Netsuke en ivoire attribué à Ryūsa (Japonais actif à la fin du XVIIIe siècle). Décor de fleurs et d'herbes dans lesquelles se cache une mante religieuse. © MET Museum
Netsuke en ivoire attribué à Ryūsa (Japonais actif à la fin du XVIIIe siècle). Décor de fleurs et d'herbes dans lesquelles se cache une mante religieuse. © MET Museum

Les sashi sont très allongés et fichés directement dans le obi. Généralement le himotōshi est percé à l’une des deux extrémités. 

Les ichiraku sont réalisés en tissage ou en tressage de matériaux souples comme le bambou ou le rotin mais parfois aussi en métal ou fils métalliques. 

Contrairement à ce que l’on croit communément, l’ivoire n’est pas le principal matériau employé pour les netsuke. Les artisans employèrent largement le bois dans toutes sortes d’essences (ébène, buis, if, etc) aussi bien que le corail, la porcelaine, la laque pure, la corne, l’os, les fruits et courges séchés et plus tardivement le métal. On aurait également tort de croire, comme en Europe, que le matériau dicte la valeur ! C’est bien les qualités de la sculpture et de la ciselure qui désigneront un beau netsuke d’un netsuke plus ordinaire. À moins que l’on ne reconnaisse dans ces petites sculptures un sujet rarement sculpté…

La libre expression des netsuke-shi

Puisqu’il s’agissait d’un objet de peu dont le pouvoir se désintéressait presque tout à fait – préférant sous le shogunat d’Edo (1603 – 1868) faire montre d’ostentation sur les sabres notamment -, les artisans jouissaient d’une certaine liberté d’expression et, bravaches, s’essayaient parfois à la satire, la parodie ou la parabole. Sinon, chaque artisan puisait selon ses goût dans une riche iconographie empreinte d’influences multiples. Cela rend aujourd’hui la tâche aussi ardue qu’elle peut être enfantine pour qui s’attèle à identifier les références évidentes ou cachées d’un netsuke japonais. 

Tous les genres sont représentés : portrait, nature-morte, scène de genre, paysage, animalier, religieux, théâtre Kabuki et Nō, caricature ou érotisme. Ajoutons le bestiaire fantastique et mythique car l’artisan japonais a à sa disposition les influences des grands mythes et personnages du shintoïsme, du bouddhisme et du taoïsme, ainsi que ceux des superstitions. Dans la culture japonaise, le fantastique et le trivial ne sont pas indépendants l’un de l’autre, bien au contraire. La perméabilité du surnaturel et du quotidien ouvre les portes d’un animisme captivant.

De la Chine, le Japon hérite quelques motifs auspicieux comme la chauve-souris symbole de bonheur ou la pêche symbole de longévité. 

Lorsqu’il s’agit de personnages, les netsuke aiment à portraiturer toutes sortes de sujets, du plus humble métier aux professions des rangs les plus élevés. Les personnages sont généralement traités dans un style naturaliste toujours à la recherche d’une certaine bonhomie que l’on retrouve dans le traitement des divinités. Parmi ces dernières, on trouve bien sûr des monstres ou des esprits mais surtout quelques personnages très populaires.

Netsuke en ivoire. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en ivoire. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en laque rouge figurant un démon. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en laque rouge figurant un démon. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum

Hoteï par exemple est parmi les plus représentés. Figure importante du bouddhisme, il est représenté avec son habit de moine nonchalamment ouvert sur son ventre rebondi, toujours joyeux et pour cause ! Il est le dieu de l’abondance. Il est l’équivalent japonais du célèbre Budaï chinois.

Netsuke en ivoire représentant Hoteï. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en ivoire représentant Hoteï. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum

Ne vous inquiétez pas de la déformation crânienne impressionnante de Fukurokuju ! Ce personnage à la sagesse légendaire et à l’âge canonique est le dieu shinto du bonheur, de la richesse et de la longévité. C’est ce qu’indique littéralement son nom : fuku “bonheur”, roku “richesse” et ju “longévité”. Il s’appuie sur une canne, tient un éventail et une grue l’accompagne parfois. En Chine, ce personnage s’incarne dans trois figures distinctes, les dieux Fú, Lù et Shòu réunies sous le nom générique de San Xing (les trois astres). 

Enfin, les animaux sont parmi les figures les plus appréciées et déclinées dans différentes formes de netsuke. Bien souvent pourtant il ne s’agit pas uniquement de représenter la beauté ordinaire d’un animal et l’observateur attentif reconnaître souvent des animaux du zodiaque chinois, chacun associé à une vertu ou une qualité. 

Netsuke en ivoire teinté représentant un coq. Japon, période Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en ivoire teinté représentant un coq. Japon, période Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en ivoire représentant un lapin dont les yeux sont en laque rouge. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum
Netsuke en ivoire représentant un lapin dont les yeux sont en laque rouge. Japon, XIXe siècle. Période Edo (1615–1868) ou Meiji (1868–1912) © MET Museum

Au XVIIIe siècle, l’art des netsuke est encore cantonné aux ateliers des sculpteurs bouddhistes ou aux fabricants de masques. Mais peu à peu, la demande exige une spécialisation. Dès le milieu du XVIIIe siècle, la fabrication des netsuke n’est plus une activité secondaire et quelques signatures commencent à apparaître en même temps que des écoles se créent. Il convient pourtant de rester prudent quant au signatures des netsuke, seul l’avis d’un expert spécialisé pourra nous renseigner. En effet, certaines signatures apocryphes rendent par exemple hommage à un maître sans pour autant que l’œuvre ne soit de sa main !

Netsuke en ivoire. Asie, XVIIIe siècle
Netsuke en ivoire. Asie, XVIIIe siècle

Si les netsuke datés avec certitude du XVIIIe siècle sont rares et recherchés, ceux de la première moitié du XIXe siècle sont tout aussi remarquables. Cet art singulier est alors à son paroxysme et fait montre d’une sophistication délicate et caractéristique de l’art japonais. La seconde moitié du XIXe siècle, dynamisée par la demande européenne produit des pièces de toutes les qualités avec, toujours, une variété de sujets qui fait la richesse des collections de netsuke et l’admiration des Européens les plus passionnés. 

Marielle Brie de Lagerac
Historienne de l’art pour le marché de l’art et les médias culturels.
Auteure du blog Objets d’Art et d’Histoire